Santé : le pari perdu de Trump !

Alors que les représentants Républicains n’ont pas réussi à se mettre d’accord le 23 mars pour voter une des lois les plus symboliques du programme, l’abolition de la loi santé dite Obamacare. Trump a immédiatement menacé les Républicains en leur lançant : « Votez la loi ou Obamacare va rester ».  C’est dire si la question n’est pas de faire passer la loi car elle est bonne mais parce que sinon la loi actuelle, qu’il a tant instrumentalisé pendant sa campagne, resterait.

Les risques de la loi santé proposée par Trump font à juste titre hésiter les Républicains et dans tous les cas Trump sortira affaibli de cet épisode à court ou moyen terme selon les scénarii.

Obamacare : des progrès réels mais fragiles

Rappelons le contexte du système de santé américain : c’est un pays où le citoyen est considéré comme auto-responsable et auto-suffisant, et où l’intrusion de l’État doit être au minimum. S’est alors mis en place un système de santé spécifique : un système public à minima (medicare et medicaid) et un système privé géré par des assureurs privés qui ont leur propre réseau de professionnels de santé pour une grande majorité des citoyens. Ce système est structurellement inégalitaire, coûteux et moins performant en matière de santé.

Obama a tenté de mettre un peu plus d’équité dans ce système, sans pouvoir y apporter plus d’efficience. 20 % des Américains n’étaient pas couverts par une assurance santé en 2010. Au-delà des 20 %, beaucoup sont couverts par des contrats de mauvaise qualité, qui entraînaient des renoncements aux soins élevés pour des problèmes de santé majeurs. Des centaines de gens meurent aux États-Unis parce qu’ils ne sont pas soignés, dans le pays le plus riche du monde.

Sa loi a permis à 20 millions d’Américains non couverts de disposer d’une assurance santé depuis 2014. Elle a fait passer les non-couverts de 20% à 13 % de la population pour un coût estimé à 0,6 % du PIB (moins de 100 milliards de Dollars), soit 4 500 $ par personne couverte.

Tout système de santé comprenant des assureurs privés dans son financement doit comprendre trois piliers : la régulation des assureurs (pour éviter la sélection du risque), l’obligation individuelle de souscrire à un contrat (effet mutualisation) et le subventionnement à l’acquisition d’un contrat pour les plus modestes. L’Obamacare a eu le mérite de mettre en place ces trois piliers.

L’une des faiblesses d’Obamacare est la pénalité financière trop faible liée aux « individual mandate », qui fait que 13% de la population n’a pas jugé utile de souscrire à un contrat. Lorsque vous êtes jeunes, avec un revenu modeste et en bonne santé, l’assurance santé n’est pas votre priorité. Parmi les 50 millions d’Américains qui n’avaient pas de couverture santé en 2010, ce sont ceux qui étaient le plus à risque qui ont souscrit les contrats sur la bourse d’échange et pas ceux à faible risque, ce qui à conduit la deuxième année à un renchérissement des primes des contrats déjà souscrits.  Trump a joué sur cette situation pour démolir Obamacare qui était pourtant bien un progrès significatif.

Trumpcare : chronique d’un échec annoncé

Trump n’a pas osé faire ce qu’il souhaitait faire, revenir à la situation d’avant Obamacare, sans obligation individuelle de souscription, une forme d’America first, dans l’esprit far west.

Au lieu de cela, Il a recherché à envoyer un signal fort à la base conservatrice sans vraiment remettre en cause les fondements d’Obamacare. Il  a gardé les trois piliers évoqués supra mais les a affaibli, faisant croire qu’il respectait ses engagements de réforme (le « repeal »).

Trumpcare est en réalité un petit Obamacare.  Le seul problème c’est qu’en affaiblissant les 3 piliers, il risque de mettre en pièce tout le système de santé, d’où l’hésitation des Républicains à approuver Trumpcare. Le report du vote de la loi prévu le 23 mars au lendemain faute d’accord entre les Représentants conservateurs est révélateur de cette situation de malaise dans le camp de Trump.

Le CBO (Congressional budget office), qui évalue les propositions de lois, a estimé que 24 millions d’Américains perdraient leur assurance avec Trumpcare. En effet, Donald Trump a affaibli l’obligation individuelle en réduisant les pénalités financières. Il aussi augmenté le multiple de la différence de primes autorisée entre les jeunes et les personnes âgées de 3 à 6, ce qui va permettre aux jeunes de payer moins cher mais aux plus âgés de payer beaucoup plus cher leur contrat. Alors que les jeunes ont davantage soutenu Clinton et les personnes âgées Trump, ce dernier agit dans l’intérêt des premiers et contre ceux des seconds. Il le paiera forcément politiquement à un moment de son mandat.

Donald Trump va diminuer les subventions pour les foyers modestes, en instituant un « flat tax credit » (un crédit forfaitaire quel que soit le revenu), alors que l’Obamacare liait les subventions au revenu. Les foyers gagnant moins de 50 000$ seront les perdants, surtout les plus modestes gagnant moins de 10 000$ (perte de 1420$ par an). Un couple de 60 ans gagnant 50 000$ consacre aujourd’hui 10 à 15% de son revenu à son assurance santé, ce sera nettement plus après la réforme de Trump (estimation à 65% pour les séniors vivant en Alaska).

Les personnes à faibles revenus et à faible risque vont sortir du système assurantiel, ce qui fera augmenter les primes pour les autres assurés, entrainant la sortie progressive des personnes à risques à faibles revenus. D’où un cercle vicieux qui mène à la destruction du marché assurantiel.

Les durs des conservateurs, tel Rand Paul, reprocheront toujours à Trump de ne pas aller assez loin et les plus modérés lui reprocheront dans quelque temps d’avoir dégradé l’accès aux soins du cœur de son électorat. La santé sera bien le premier pari politique perdu par Trump.

 

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard, est un économiste spécialiste des questions de protection sociale et de santé. Il est professeur d'économie affilié à l'ESCP Europe et enseigne aussi à Paris Dauphine. Il est Président fondateur de l'Institut Santé.

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