Le reconfinement, dr Knock et la Providence !

Le Dr Parpalaid, qui se moquait du Dr Knock au début du chef-d’œuvre de Jules Romain, est admiratif. Knock a réussi à prendre le contrôle de tout le canton, ceux qui ne sont pas au lit travaillent pour lui. L’Etat français a d’abord mis au lit 20 millions de citoyens dès 21 heures pour les protéger de tout risque nocturne, avant de décider de reconfiner tout le monde. Que d’ingratitude envers un Etat si protecteur !

Est-ce que ce coup de force va réduire durablement les contaminations de Covid en France ? Probablement pas, mais l’objectif est court-termiste (et indispensable à atteindre), éviter la saturation des services de réanimation. Pour vaincre l’épidémie, comme en mai 1940 lorsque l’Etat demandait aux citoyens d’allumer des cierges pour repousser les Allemands, l’Etat en 2020 semble s’en remettre à dieu.  Et si le couvre-feu ne fonctionne pas ? Que dieu nous protège.

Défaillance de l’Etat sanitaire

Si le confinement collectif du printemps était déjà le résultat de « défauts manifestes d’anticipation, de préparation et de gestion » de l’Etat sanitaire français, comme le révèle le rapport d’étape de la mission d’évaluation de la crise Covid, le couvre-feu du 17 octobre est une démonstration pour l’Etat sanitaire de son incapacité de réaliser la moindre autocritique et de tirer les leçons de ses dysfonctionnements, toujours déniés. Lorsque L’Etat sanitaire nous explique que si c’était à refaire, il aurait eu exactement le même discours en mars sur l’inutilité des masques, tout est dit.

Depuis plus de 20 ans, chaque réforme en santé s’est traduite par une recherche de centralisation accrue de la décision.  Pendant la première vague Covid, le rôle des préfets et des agences régionales de santé s’est limité à appliquer et à tenter d’expliquer les décisions d’un Etat sanitaire renfermé sur lui-même. Par exemple, Il faudra 3 semaines à la mi-mars pour que l’Etat réponde aux Présidents des Conseils départementaux à leur demande de mise à disposition de leurs laboratoires d’analyse pour réaliser des tests. Rien n’a changé depuis mars. L’Etat refuse depuis début septembre la large diffusion des tests antigéniques, dont les résultats sont presque immédiats, car le comité Théodule n°78 n’a pas encore apposé son homologation.

Si l’affaire des masques a été au cœur des polémiques, c’est bien celle des tests qui exprime le mieux l’impotence étatique en santé. D’abord enfermé dans une politique restrictive, l’Etat sanitaire est ensuite passé à une politique du chiffre, 700 000 puis un million par semaine.

Le tout quantitatif a condamné à l’échec la politique de tests et donc toute possibilité de localiser l’ennemi. On mène la guerre sanitaire à l’aveugle. Face à l’échec sanitaire, il ne reste plus que les mesures non sanitaires les plus dommageables économiquement et socialement pour endiguer les contaminations.

Quand on lèvera ces mesures, que se passera t’il ? Que dieu nous protège.

Outre le principe de centralisation, l’Etat français se caractérise par le principe de stratification pour l’emploi des personnels, dont l’administration sanitaire est un modèle du genre. Cette dernière multiplie les chefs et sous-chefs de bureaux, chacun sortant le parapluie pour n’être responsable de rien, créant une armée mexicaine d’irresponsables. Même lorsque des vies humaines sont en jeu, rien ne change. Cette stratification du personnel et ce principe d’irresponsabilité individuelle ont mis à terre l’hôpital public. Outre la lourdeur administrative de son hôpital, un praticien hospitalier (PH) d’Ile-de-France qui ose proposer une organisation de son service plus innovante, doit attendre la décision des services de l’AP-HP (ou du GHT dans d’autres régions), de l’ARS et de la DGOS. Résultat : 30% des postes de PH sont vacants à l’hôpital public.

 

Incurie Politique qui perdure dans le sanitaire

Rien de tout cela n’est dû au hasard. La responsabilité de cette décadence de l’Etat sanitaire est collective et partagée par tous les pouvoirs, et donc par tous les citoyens depuis 30 ans. Cependant, la continuité de l’incurie politique en santé, au cœur d’une crise si grave, interpelle d’autant plus que l’Etat a globalement bien géré à ce stade les aspects économiques et sociaux. Mais comme la relance dépendra d’abord du sanitaire…

L’hôpital est l’emblème de cette incurie. L’année 2020 est marquée par le franchissement du cap des 100 Mrds€ de dépenses hospitalières totales, soit une part de PIB (>4%) la plus élevée des pays développés comparables. Malgré cela, l’hôpital est dans une situation plus fragile en octobre 2020 qu’en mars 2020. Alors que nous sommes montés à 12 000 lits de réanimation en mars, en octobre les 5700 lits permanents ne pourront pas être augmentés, sous risque de perte de chance pour des patients non Covid dont les opérations sont urgentes. En réalité, 600 lits de réanimation sont fermés faute de personnel. En 2012, les besoins de formation d’internes en médecine intensive-réanimation a été estimé à 130 par an, l’Etat n’en a accordé que 70 à ce jour. Malgré les demandes de hausse en 2020, l’Etat vient de refuser d’en augmenter le nombre.

Le Ségur de la santé devait être la réponse de l’Etat à la crise du système sanitaire. La seule réponse a été budgétaire avec une rallonge de 8 Mrds€ de rémunération du personnel, disséminée sur 1,5 million de personnels, donc à très faible impact individuel et sans distinction soignant/administratif. Toujours le vœu, l’incantation qu’avec une telle somme, le personnel acceptera de travailler dans un environnement dégradé et avec une pénurie d’équipements. Vous avez bien lu, malgré 100Mrds€ de dépenses, le personnel manque même de gants et de blouses pour travailler, exploit de gestion de la dictature technocratico-médicale.  Le budget social 2021 en cours d’examen est apocalyptique !

L’organisation institutionnelle de notre santé publique, disséminée dans une multitude d’agences, a montré son impotence mais on n’y touche surtout pas. L’absence de démocratie sanitaire et sociale dans le système, la nullité de notre politique de prévention et le manque de moyens de la médecine de ville ont été criants pendant cette crise. Ça n’intéresse pas Dr Knock. Que dieu nous préserve !

Si l’Etat sanitaire a été dispendieux avec l’argent public pour l’hôpital, aucune mesure structurante sans coût additionnel n’a été prise. En bref, ce qui coute cher et sans impact immédiat a été priorisé sur ce qui ne coûte rien et à fort impact immédiat. Dans un tel contexte, il fallait oser.

A court terme, peu d’espoir n’est permis face à une telle incurie. A l’inauguration du Ségur, l’Etat sanitaire a précisé sa position : « on ne change pas de cap, on accélère juste le rythme ». Le mur est là.

Que ceux, qui pensent que la refondation du système sanitaire est trop complexe à mettre en place, sachent qu’un programme clé en main et largement soutenu par les principales parties prenantes est en cours de constitution et sera prêt en 2021 (voir https://www.institut-sante.org). Dans un tel contexte, avons-nous en effet d’autres choix que de suivre la doctrine aristotélicienne du citoyen actif, tantôt gouverné tantôt gouvernant ?

Même si, ni les principes du Dr Knock ni la Providence ne fonctionnent en santé publique, les citoyens reconfinés  peuvent méditer pendant leurs longues soirées  le conseil de Knock :

« Ne confondez pas. Est-ce que ça vous chatouille ou est-ce que ça vous gratouille » !

 

P.s: Article publié dans Le Monde du 29/10/2020, ici

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard, est un économiste spécialiste des questions de protection sociale et de santé. Il est professeur d'économie affilié à l'ESCP Europe et enseigne aussi à Paris Dauphine. Il est Président fondateur de l'Institut Santé.

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