Publiée dans Les Échos le 30/12/2025
L’annonce du Premier Ministre, le 14 novembre dernier, de lancer un nouvel acte de décentralisation dans les champs sanitaire et médico-social – confirmée par le lancement d’une mission IGAS/IGA/IGF et la promesse d’un projet de loi début 2026 – a suscité de vives réactions politiques et sectorielles.
Onze anciens ministres de la Santé ont publié une Tribune dans Le Monde le 18 novembre dernier pour dénoncer la volonté du Premier Ministre de démembrer les ARS au risque de « mettre en cause la cohérence des politiques de santé et d’accès aux soins ».
Dans une lettre ouverte au Premier Ministre du 27 novembre, les représentants des établissements et services médico-sociaux dénoncent une « rupture majeure dans l’organisation de la protection sociale… avec le risque de vider de son sens la branche autonomie cinq ans après sa création ».
Si la gouvernance actuelle des deux systèmes sanitaire et médico-social est manifestement en échec, confier la compétence politique pleine et entière de ces deux risques au Conseil départemental serait une ligne de fracture avec notre modèle universel. A l’inverse, une délégation de service public serait une voie pragmatique et prometteuse.
L’échec de la gouvernance actuelle
L’État central n’a pas su se transformer en véritable « État stratège » en santé et en médico-social. Il peine à anticiper les changements démographique, épidémiologique, technologique, et les risques sanitaires. Aucune stratégie nationale pluriannuelle n’existe pour les deux risques, dont la gestion reste comptable et court-termiste, comme l’a encore illustré le PLFSS 2026.
La création des ARS en 2009 n’a ni amélioré la maitrise budgétaire ni renforcé la performance du système. Pas vraiment indépendantes, disposant d’un coût de fonctionnement élevé (plus de 800 M€ par an), les ARS ont accentué la centralisation des décisions, étouffé les initiatives locales et freiné la diffusion de innovations technologiques et organisationnelles. La greffe n’a pris ni avec les élus locaux ni avec les professionnels de terrain.
La concentration du pouvoir dans les mains d’un exécutif technocratique à la caisse nationale d’assurance maladie porte une lourde responsabilité dans les déficits structurels abyssaux – 80% du déficit total de la sécurité sociale de 2023 à 2025-, dans le délitement de l’organisation des soins et dans la persistance en 2026 d’un modèle hospitalo et curativo-centrée obsolète.
Décentralisation : la ligne de fracture à ne pas franchir
Face à l’échec manifeste d’une gouvernance étatiste et centralisée, la tentation est grande de proposer un acte de décentralisation sanitaire et médico-sociale. Si une évolution est nécessaire, confier ces deux compétence au Conseil départemental constituerait une rupture historique avec notre modèle universel.
Notre système social repose sur les principes d’universalité, d’unicité et d’indivisibilité de la solidarité nationale. Il participe au socle de cohésion qui fait société et nation, en organisant une solidarité entre tous, à tous les âges de la vie.
Au XXIème siècle, les deux systèmes ont besoin d’un État stratège, capable de définir une loi de programmation pluriannuelle sur le modèle de celle de la défense. Mais leur pilotage opérationnel doit s’exercer au plus près des territoires. A cet égard, le département demeure l’échelon géographique le plus lisible et le plus identifié par l’ensemble des citoyens.
Pour une délégation de service public
Piloter les politiques sanitaire et médico-sociale à l’échelle départementale ne signifie pas transférer au Conseil Départemental la compétence pleine et entière de la gestion de ces risques. Il s’agirait d’une délégation de service public à une entité démocratique départementale, qui est à différencier entre les deux risques.
Pour le sanitaire, un Parlement départemental de santé, composé de quatre collèges – représentants des professionnels de santé, des élus locaux, des associations et des ordres professionnels – serait chargé du pilotage du projet départemental de santé, déclinaison territoriale d’une stratégie nationale définie par l’État. Un contrat d’objectifs et de moyens départemental de santé serait conclu avec l’État et la caisse primaire.
Pour le médico-social, le Conseil départemental, historiquement chef de file des politiques sociales, serait naturellement délégataire de plusieurs missions :
- Le pilotage du service public départemental de l’autonomie,
- La conception d’un schéma départemental des besoins et des réponses (s’appuyant sur des plateformes numérique et physique),
- L’évaluation annuelle des plans d’aides.
Le Conseil départemental pourrait également être responsable des choix d’investissements publics nécessaires à la gestion de ce risque.
En revanche, le financement des prestations courantes devrait être confié exclusivement aux caisses nationales, cœur de leur mission et domaine dans lequel la décentralisation n’apporterait aucune valeur ajoutée.
L’État doit être un opérateur de santé publique pour coordonner et soutenir les missions de protection sanitaire d’une part, et jouer le rôle de régulateur et d’arbitre dans l’organisation des soins, sans intervenir dans l’opérationnel, d’autre part. Pour cela, des agences régionales de santé publique, rénovées et resserrées sur la santé publique, pourraient coexister avec des directions sanitaire et médico-sociale dans les Préfectures départementales.
La démarche engagée par le Premier ministre en faveur d’un « État plus efficace » pourrait ainsi déboucher sur une évolution nécessaire et souhaitable : un État central stratège, garant de l’universalité et de l’égalité, et une délégation de service public du pilotage opérationnel des politiques sanitaire et médico-sociale à l’échelon départemental, sans transfert de compétence plein et entier aux Conseils départementaux.
