Le modèle de santé ultralibéral américain n’est pas une fatalité pour la France!

/

« Le pire n’est pas toujours certain » selon le poète espagnol Pedro Calderon. La situation actuelle et les perspectives à court terme de la France vont cependant maintenir au plus haut la côte des déclinologues dans notre pays. Si certains le sont par nature (des pessimistes), d’autres le sont par raison (des experts). Les difficultés financières et organisationnelles de notre système de santé sont un terrain de jeu très prolifique pour les deux profils. La victoire de l’expert déclinologue en santé n’a probablement jamais aussi été proche et risque de conduire, sans débat public, à un système que probablement peu de Français souhaitent pour leur pays.

L ‘Assurance maladie est morte, vive l’assurance maladie!

Si l’assurance maladie a œuvré à la transformation de la société française dans les années après-guerre et au succès de notre système de santé, elle est aujourd’hui en piteux état. Depuis les ordonnances Juppé de 1996, l’assurance maladie a accumulé plus de 60% de l’ensemble des déficits sociaux. Sa gestion paritaire n’est plus qu’un simulacre de démocratie sociale et sa véritable gouvernance est dorénavant dans les mains de l’Etat. La faible croissance économique et le vieillissement de la population affaiblissent durablement son financement actuel. L’expert déclinologue a une occasion à saisir pour enterrer définitivement le modèle de 45 et le remplacer par un autre modèle. « L’audace réussit à ceux qui savent profiter des occasions » disait Proust. C’est le moment d’agir !

Cet autre modèle existe depuis plusieurs années dans les cartons du premier groupe d’assurance européen et de son think tank (1). Il consiste à « déconcentrer la gestion du risque maladie au niveau d’entités d’assurance en concurrence ». Un financement par l’impôt d’une nouvelle agence (qui ne serait plus une assurance maladie) délivrerait des prestations non contributives. « Des prestations assurantielles relèveraient quant à elle d’entités en concurrence, à charge pour elles de contracter avec les différents prestataires de soins ». Les grandes compagnies d’assurances vont donc acheter les prestations sanitaires aux assurés, les orienter à travers les réseaux de professionnels de santé conventionnés qui délivreront les soins qu’elles souhaiteront prendre en charge.

Le projet est en ligne avec le cœur de métier de cet assureur privé, formidable réussite entrepreneuriale française, ce qui justifie sa promotion de sa part. Le problème est qu’il est largement soutenu par les grands opérateurs mutualistes, ardents défenseurs des réseaux de soins conventionnés et sensés pourtant défendre un modèle contraire à cette évolution. Comme aux Etats-Unis, ces acteurs  basculeront inévitablement dans le secteur lucratif et assurantiel, tout en tentant évidemment de garder le plus longtemps possible l’image solidaire et social. Au vrais acteurs solidaires et mutualistes de reconstruire la gouvernance mutualiste en santé afin d’éviter que cette commedia dell’ arte des fossoyeurs du mutualisme ne se finisse en tragédie grecque pour tout le secteur mutualiste.

Les pouvoirs publics ne sont pas en reste pour rendre possible un tel changement de système de santé. La loi Le Roux a cassé le verrou solidaire du code de la mutualité. La baisse en valeur réelle des remboursements publics des séjours hospitaliers et des actes précipitera progressivement les structures de soins privées dans les bras des financeurs privés, les plus  capitalistiques d’abord (cliniques privées, centres de radiologie…) et les autres ensuite. L’ouverture du capital des laboratoires d’analyse (2009) permet déjà aux fonds de pension étrangers de racheter un par un les laboratoires indépendants.

Les marges de manœuvre sont multiples pour éviter un tel scénario

La meilleure arme pour installer un système assurantiel non solidaire de la gestion du risque santé est de prendre acte du décès définitif de l’assurance maladie. En réalité, notre assurance maladie est malade de son absence de réforme ambitieuse pour la rendre viable dans le nouveau monde. Les 14 régimes obligatoires, gérés par 86 opérateurs différents, sont les vestiges d’un système corporatiste désuet. Les 101 caisses primaires d’assurance maladie sont le vestige d’une organisation locale où le numérique n’existait pas. Individualiser les droits sociaux, fusionner les divers régimes obligatoires, réduire à 50% la part de financement issu des revenus du travail, réformer la gouvernance, gérer de façon dynamique les paniers de soins… les marges de manœuvre sont multiples pour remettre debout le pilier solidaire de notre système de santé. Conserver un système solidaire nécessite aussi de repenser l’architecture de financement actuel dont nous avons élaboré en détail le nouveau modèle (2).

On connaît très bien les limites sociales, les coûts de transactions qui renchérissent les prix des soins et l’inefficacité dans la gestion du risque santé de ce modèle ultralibéral voulu par les assureurs. Il suffit d’observer le résultat aux Etats-Unis, seul grand pays (en taille de population) où il a été réellement instauré. Des 3 fonctions d’un système de financement – couverture du risque, redistribution et investissement social – ce système n’en remplit aucune efficacement. Outre la régression sociale et culturelle qu’un tel projet représente au pays de Rousseau et de Tocqueville, c’est toute l’organisation de notre offre de soins qui en sera transformée (dont la dépendance des professionnels de santé vis-à-vis des financeurs et la fin de l’égalité de la prise en charge des citoyens).

Qui va être le politique visionnaire et réformateur pour s’opposer à cette conception décliniste de l’avenir de la France? Face aux exigences de réduction des dépenses publiques, face à la puissance financière et à la détermination des défenseurs de ce nouveau modèle, la pression va être à être à son comble d’ici à 2017. Le risque est si élevé que la réforme du système de santé pourra, et c’est historique dans la vie politique récente, servir de juge de paix pour évaluer la stature d’homme ou de femme d’Etat des différents candidats !

 

Frédéric BIZARD

 

(1) Décrit dans « Sauver l’assurance maladie universelle » – Institut Montaigne – Mai 2010 – Disponible ici 

(2) « Politique de santé : réussir le changement » – Editions Dunod – Septembre 2015 – Disponible ici 

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard, est un économiste spécialiste des questions de protection sociale et de santé. Il est professeur d'économie affilié à l'ESCP Europe et enseigne aussi à Paris Dauphine. Il est Président fondateur de l'Institut Santé.

3 Comments

  1. Qui s’est attelé à ce problème?
    Fillon pourrait-il avoir le courage d’affronter la bureaucratie et les syndicats. Et d’être ferme avec les mutuelles?
    Le société civile devrait faire pression.
    Merci de nous donner de l’espoir.

  2. Pleinement en phase avec vos idées et propositions pour une refondation de notre système de santé,j’aimerais savoir si elles inspirent un homme (ou une femme) politique, qui pourrait les appliquer.

    • Je peux simplement vous dire que Nathalie Kosciusco-Morizet a décidé de reprendre une grande partie de mes propositions et de faire de la réforme de notre système de santé un axe important de sa campagne

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Previous Story

Présidentielle 2017: Plus de liberté pour plus de justice

Next Story

Ubérisation de la santé : réalités et fantasmes !

Latest from A la une