Reste à charge zéro : la mesure électoraliste favorable au candidat mais à effet boomerang pour le Président

Voir l’Interview de Frédéric Bizard dans JIM de mars 2019 sur lé réforme du reste à charge zéro ici

Dans la continuité du quinquennat précédent et après une promesse emblématique du candidat Macron, le gouvernement met en place dès 2019 un financement à reste à charge zéro (RAC Zéro) en optique, en dentaire et en audioprothèse. Avec ce système, la France se dirige subrepticement vers le modèle anglais gratuit étatique et fonctionnarisé, sans libre choix sauf pour les plus aisés.

On va observer un double effet au cours du temps du reste à charge zéro.

Un effet d’aubaine pour les assureurs qui vont fortement augmenter les coûts des contrats

Dès la fin 2018, les assurés ont eu la mauvaise surprise de s’apercevoir que leurs primes avaient fortement augmenté. Le Président Macron a lui-même pu le constater sur son relevé de mutuelles de la fonction publique et crié au « sabotage politique » par la voix de la Ministre de la santé. Une enquête (1) auprès de 100 000 assurés a révélé une hausse totale de 2019 à 2021 des primes d’assurances en santé de 15%, dont 50% à cause du RAC zéro soit un coût additionnel de 2,5 milliards d’euros pour les assurés. D’après le millier d’échéanciers transmis à UFC-Que Choisir, la progression des tarifs en 2019 serait de 8%.

Les assureurs ont fait leur compte mais surtout ont profité de l’effet d’aubaine pour accroître leur chiffre d’affaires, prétextant cette nouvelle mesure. Avec des frais de gestion de plus de 20% des primes (près de 7,5 milliards euros), il est facile de comprendre que prétendre améliorer le sort des citoyens en les obligeant à faire payer leurs lunettes à 100% par leur assureur leur coûte en réalité beaucoup plus cher. Ainsi, le coût de l’assurance d’une paire de lunettes simple pour un retraité sur 3 ans est de 792 euros pour un besoin médical dont la satisfaction, l’achat d’une paire de lunettes simples, coûte 280 euros.

Cette hausse va être plus forte pour les retraités qui souscrivent uniquement à des contrats individuels, qui ont des charges plus élevées (25 à 30% des cotisations) et dont les cotisations sont payées à 100% par les assurés. Pour un couple de retraités qui payait 200 euros par mois, la hausse annuelle est estimée à 240 euros.

En intégrant le deuxième effet ci-après, cette mesure favorable aux assureurs à court terme pourrait bien se révéler négative pour leur image à terme et nourrir un ras-le-bol de prélèvements devenus obligatoires pour la plupart des citoyens.

Un impact délétère pour le principe d’égalité du modèle républicain de santé français

Le deuxième effet va s’exprimer de deux façons progressivement au cours du temps.

D’abord, il va dégrader l’accès à des soins de qualité pour la classe moyenne. La mise en place du RAC zéro dans les 3 secteurs est réalisée en stratifiant l’offre en deux niveaux ou plus de qualités de prestations, le premier étant sans reste à charge et à prix fixes. Pour les assurés se limitant au premier niveau, les professionnels de santé vont devoir baisser au maximum leurs coûts de revient (importations asiatiques, pas d’innovation, travail à la chaine, baisse du temps passé), voire même sélectionner leurs patients s’ils ne veulent pas exercer à perte.

Les autres paniers de soins, avec reste à charge et comprenant les prestations innovantes, vont être plus difficiles d’accès pour la majorité des Français. En effet, cette évolution du financement s’accompagne d’une démutualisation de la qualité en contrepartie du financement 100% du panier de base, éloignant la classe moyenne des prestations de santé de qualité.

Ensuite, cette mesure va entrainer une hausse de la consommation des soins concernés, suite à la baisse de qualité et suite à la fin du cofinancement généralisé. L’étude célèbre de la Rand Corporation (2) a démontré qu’entre 0% et 25% de cofinancement direct par les patients, la hausse de consommation était de 20%. Cette étude Rand HEI est la plus grande étude économique et sociale au monde à ce jour et a estimé l’impact du co-financement des soins sur la consommation de soins, sur la qualité des soins et sur l’état de santé des patients. Sur plusieurs années et à grande échelle, les résultats ont clairement démontré que les patients avec un reste à charge zéro (qui ont été choisi aléatoirement au sort) avaient une dépense supérieure de 20% par rapport à ceux qui avaient un cofinancement de 25%, sans impact sur l’état de santé de ces derniers.

Au final, le RAC zéro est une mesure très électoraliste qui aura servi le candidat mais qui pourrait bien desservir le Président Macron tant elle est délétère pour le modèle de santé républicain français.

 

Frédéric Bizard

Voir l’Interview de Frédéric Bizard dans JIM de mars 2019 sur lé réforme du reste à charge zéro ici

(1) Enquête de Santiane auprès de 100 000 assurés publiée le 23/10/2018.

(2) Rand Health Insurance Experiment – La plus grande étude de l’histoire sur le cofinancement en santé-1986- www.rand.org

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard, est un économiste spécialiste des questions de protection sociale et de santé. Il est professeur d'économie affilié à l'ESCP Europe et enseigne aussi à Paris Dauphine. Il est Président fondateur de l'Institut Santé.

1 Comment

  1. Parfaite analyse et description pertinente.
    Bravo mais j’ai peur que ce soit trop tard pour changer les faits !
    Il faudra toucher le fond de la piscine pour rebondir et ressortir la tête de l’eau. Cette prise de conscience de l’arnaque électorale ne pourra venir que de la part des patients/clients/consommateurs.

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