Réactions aux propositions de la #CNAM sur les négociations conventionnelles médecins 2023

Les propositions de l’Assurance Maladie le 21 février 2023

https://www.linkedin.com/pulse/lettre-envoyée-aux-médecins-sur-létat-des-de-maladie-dans-fatôme/?originalSubdomain=fr

Sur un plan global, ces propositions partent du diagnostic (largement partagé par l’État et les Politiques) que les médecins en général et les libéraux en particulier sont largement responsables du déclin de notre système de santé entrainant désertification médicale, saturation des urgences et autres symptômes. Donc, il faut les contraindre davantage à faire plus et différemment.

La philosophie des propositions est bien résumée dans la phrase suivante du directeur de la CNAM :

« L’Assurance Maladie souhaite valoriser l’engagement des médecins vis-à-vis de la population du territoire ».

A périmètre constant d’activités, cette phrase sous-entend que les médecins libéraux n’ont pas à être revalorisés sauf à faire plus et différemment. On est bien dans un fossé entre la perception biaisée (volontairement ou involontairement peu importe) et la réalité du terrain. Les médecins en poste dans les territoires travaillent en moyenne 54h, sont au bord du burn-out pour la moitié d’entre eux…

Nul doute que comme dans toute organisation, des gains d’efficience peuvent être apportés dans le fonctionnement de l’exercice libéral, qui justifierait de concevoir un plan de refondation aussi pour cet exercice.

Cette erreur d’appréciation n’est pas que philosophique, elle est centrale et politique.

En suivant ce raisonnement, la CNAM veut condamner l’exercice libéral de ceux qui n’entrent pas dans le nouveau cadre fixé au sein du contrat territorial de santé. En effet, la hausse de 1,5€ à 26,5€ condamne économiquement les médecins qui pratiqueront à ce tarif. C’est le contrat ou tu arrêtes d’exercer (dans le système conventionnel).

Rappelons que l’inflation entre 2017 (date de début des 25€) et 2028 (date de fin des 26 ,5€), est évaluée à plus de 30%. Ainsi, la valeur de la consultation en euros constants devrait être de 29€ en 2023 et de 32€ en 2028, juste pour compenser l’inflation. A ces valeurs, on ne peut parler de moyens supplémentaires, de revalorisation mais d’indexation sur l’inflation.

Certes, les médecins n’étudient pas l’économie dans leur cursus, mais affirmer que la hausse de 1,5€ fera gagner 7000€ à chaque médecin par an (4666 consultations *1,5 ?)  n’est pas la preuve d’une grande considération pour l’intelligence humaine dans ce secteur, mais ce n’est pas là l’essentiel. Cette hausse nominale de 1,5€ fait perdre de l’ordre de 11% en 2024 et 20% en 2028 en pouvoir d‘achat d’un médecin généraliste libéral (de 10 000 à 18 000€).

Ce n’est donc pas viable, la seule issue est de s’engager dans le contrat voulu par la CNAM. Sauf qu’il existe probablement plus de 20 000 médecins libéraux qui sont soient en cumul emploi-retraite soient tout près de prendre leur retraite. Pour eux, cette incitation au forceps va se traduire par un arrêt de l’exercice. C’est une grande richesse de capital humain pour l’exercice médical dont on va se priver. Est-ce bien le moment ?

On peut rétorquer à cela que ce qui compte c’est de bien orienter la pratique des jeunes à l’installation. Là il faut regarder le contenu du contrat : un des engagements clés est d’augmenter sa file active, i.e. de traiter plus de patients. Le temps de consultation en France est de l’ordre de 12mn avec un temps de travail déjà évoqué. Sommes-nous dans des critères, dans une pratique (le stakhanovisme médical), qui attirent la jeune génération et qui font faire de la bonne médecine ? La réponse est dans la question !

Les aspirations des jeunes médecins ne sont pas différentes des aspirations de leur génération : l’équilibre de vie, la quête de sens, le choix de ses conditions de travail (rapport de force favorable )… Autant dire que la course à la consultation et à la contrainte risque de produire l’effet inverse recherché. Il est probable que des libéraux en milieu de carrière céderont à ces sirènes, au moins à court terme. En tout cas, ce modèle incitatif très théorique et déconnecté des réalités médicales et sociologiques, en l’état, est un contre-modèle pour les deux extrémités en âge.

Enfin, il serait intéressant de réaliser une enquête auprès de salariés de l’Assurance maladie pour connaître leur acceptation face à la même philosophie de deal :

  • Si vous continuez à travailler comme aujourd’hui, on vous compense que 5% de la hausse de l’inflation et donc vous perdrez plus de 20% de pouvoir d’achat
  • Si vous acceptez de travailler plus et différemment, on peut voir à mieux compenser votre perte de pouvoir d’achat.

Il est écrit dans les propositions que le texte peut encore évoluer et ces négociations doivent être l’objet d’un débat constructif et apaisé.  Au-delà des aspects économiques, le problème est dans le diagnostic erroné des causes de la crise, du choix de l’infantilisation et de la contrainte plutôt que de la responsabilisation et de la confiance.

Pas sûr que ce soit dans des réunions plénières qu’on puisse changer cela !

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard, est un économiste spécialiste des questions de protection sociale et de santé. Il est professeur d'économie affilié à l'ESCP Europe et enseigne aussi à Paris Dauphine. Il est Président fondateur de l'Institut Santé.

14 Comments

  1. On est encore dans le paradigme de beaucouo de n’importe quoi pas cher, que vous aviez analysé dans votre article sur la financiarisation. Sauf que là qui pourrait proposer une telle réalité.dans le domaine des soins de premier recours ? Où sont les économies d’échelle ?
    Qui dirige le système de santé ? Quel être, quel groupe, quelle idée ? Où est le pilote dans cet avion là ? A quel plan de vol obéit il, ou tout cela est-il improvisé ?
    On aurait envie d’un système explicite et non implicite où on puisse choisir quelque chose.
    Pourquoi cela semble-t-il impossible ?

  2. En tant retraité actif j’envisage à court terme de cesser mon activité ( comme beaucoup de confrères dans la même situation.

  3. Merci pour votre vision économique de ce texte, très éclairante

    Avez -vous rédigé un article critique sur la proposition de loi n° 741 de notre député Jérémie Patrier Leitus, concernant les déserts médicaux ?

  4. Il faut changer de système de santé en s’appuyant sur une définition physiologique (et physiopathologique) de la Prévention distinguant trois niveaux ,de prise en charge, P1, P2, P3 dont la budgétisation s’appuierait sur le volontariat, l’incitation, la solidarité, l’anticipation.

  5. Merci pour cet excellent article qui mérite d’être diffusé très largement ! Afin que cesse cette manipulation honteuse des chiffres avancée dans les « médias ».

  6. Il faut voir toujours plus de patients pour un tarif de plus en plus faible. Donc ce système nous pousse très officiellement à travailler de plus en plus mal, c’est à dire que nous devrons faire une médecine symptomatique alors que notre formation nous avait appris à rechercher les causes premières…. J’ai 60 ans et je suis très en colère devant cette dégradation du système.

  7. Presque 59 ans, je réfléchis soit à me déconventionner soit à me réorienter complètement et stopper la MG . Mais quel gâchis !!

  8. Et cette nouvelle convention sanctionne les Centre de Consultation non programmée, qui par définition ont une file active importante, tout- venant, mais pas de patientèrent « médecin -traitant » mais par contre agissent pour désengorger les Urgences.

  9. Affligeant mais habituelles, l’incurie et l’impéritie du gouvernement. Procrastination et politique de l’autruche en attendant la mort programmée mais curieusement peu annoncée, de.la médecine libérale. Malheureusement les autres versants de la médecine sont moribonds. Il est de plus en plus difficile de soigner et se faire soigner correctement en France

  10. La, pénurie médicale est totalement la faite des pouvoirs publics. Je propose très justement que l’on baisse donc le budget de l’état de 20 %, pour rendre l’argent aux français et eux médecins, en suivant scrupuleusement leur raisonnement.

  11. Envisager un système de santé Européen mieux disant serait sans doute la voie pour une meilleure prise en compte des acteurs et des populations au-delà des contraintes de temps des politiques.

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