Protection sociale : Protégeons les personnes et non plus les statuts !

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Emission de Frédéric Taddéi sur Europe 1

ITW de Frédéric Bizard par l’Académie

Depuis 30 ans, la France multiplie les plans de colmatage de son modèle social, que ce soit pour la santé, les retraites, la famille ou le chômage. Notre modèle social de 1945 s’est transformé en contre-modèle, impuissant face aux fléaux du chômage, de la pauvreté et des inégalités. Par crainte d’en payer le prix politique et par absence d’un projet alternatif crédible, aucun gouvernement ne s’est encore véritablement attelé à le remettre en cause. Pourtant, l’état de la France sur le plan économique et social et l’émergence d’un nouveau monde placent sa refondation en priorité nationale.

Voici une proposition d’un nouveau modèle pour relever ce défi (1).

Pour une protection sociale de la personne, portée par un modèle universel  

Le modèle corporatiste de 1945 lie les droits sociaux à l’appartenance à un groupe professionnel (voir les 36 régimes de retraites), ce qui segmente la société, nuit à la transparence des mécanismes de solidarité et mine l’efficacité et l’équité de notre protection sociale. La femme n’est titulaire de droits sociaux que par son travail ou par son statut de conjointe d’un travailleur. L’émergence de l’économie numérique et de la société digitale est le coup de grâce à ce principe de notre modèle social d’asseoir les droits sociaux sur le statut professionnel. L’égalité entre les sexes est aujourd’hui une valeur centrale de notre société, que notre modèle social doit aussi porter.

Transférons l’assise des droits sociaux du statut professionnel vers la personne, en tant que personne. Le nouveau modèle social du XXIe siècle prend acte de droits sociaux devenus universels et les considère égaux pour tous, indépendamment du statut professionnel. Il incarne une protection sociale devenue un droit de l’homme et non plus seulement un droit du travailleur. Concrètement, chaque système social comprendra dans le nouveau modèle un régime unique universel, auquel tout citoyen appartiendra. On passe de la protection des statuts professionnels à celle de la personne.

L’universalité des droits sociaux induit une évolution du type de solidarité de l’État social. L’État Providence actuel vise avant tout à garantir un niveau de vie minimum pour assurer la croissance de la consommation et non l’inclusion des personnes les plus défavorisées. La nouvelle solidarité se fonde sur un droit égal pour tous au développement individuel, à l’autonomie économique et sociale. La sortie du modèle corporatiste, grâce à l’individualisation des droits, fait évoluer le concept de solidarité vers celui de justice sociale.

Agir sur les capacités individuelles pour renforcer la liberté de tous

La meilleure sécurité (sociale) est celle qui maximise les chances pour une personne de construire son avenir, d’exploiter pleinement ses capacités de développement de soi. C’est la notion de capabilités (i.e. de capacités à transformer des biens en bénéfices) de l’économiste Prix Nobel Amartya Sen. Le principe solidaire constitutionnel « du droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence » doit évoluer vers « un droit d’obtenir de la collectivité la capacité d’assurer son développement personnel selon ses choix et ses aspirations ».

Cette nouvelle vision conduit à aborder la protection sociale selon une logique d’investissement visant à l’autonomie (et donc à la liberté) de chacun dans la gestion du risque et non plus seulement d’une consommation de prestations visant à réparer un risque.  Ceci implique par exemple de rendre notre système de retraite lisible pour une retraite choisie et non subie (grâce à un régime universel de retraite à points), de passer du soin à la santé pour garantir un accès à tous à la santé (et pas seulement aux soins) ou de garantir une formation professionnelle adaptée, de son choix, tout au long de sa vie active (ce qui est loin d’être le cas).

Pour une protection sociale active et équitable pour chaque génération

Sur le plan social, l’engagement individuel est une condition nécessaire pour créer un sentiment fort d’appartenance au système solidaire, source de cohésion sociale. Les composantes de cet engagement individuel sont autant le sens des responsabilités envers les autres, la solidarité de proximité, le civisme que l’engagement politique habituel. La vraie sécurité est celle dans laquelle l’individu est acteur de sa protection sociale et non simplement récepteur de prestations sociales. Le nouveau modèle social vise à transformer nos politiques sociales passives en politiques sociales actives. Privilégier le temps choisi à la réduction du temps de travail, laisser le libre choix de son départ à la retraite, garantir aux chômeurs une formation sont des exemples de politiques sociales actives.

Si la démocratie représentative reste un pilier de notre système démocratique, la démocratie participative prend une ampleur croissante dans les sociétés modernes. La révolution digitale la rend incontournable et il faut l’organiser. Le nouveau modèle social du XXIe siècle doit renforcer la vie démocratique en poursuivant l’œuvre pionnière de 1945 de délégation de gestion de sa gouvernance aux assurés eux-mêmes, par une démocratie sociale renforcée et réorganisée. L’assuré est actif dans la gestion du risque mais aussi dans la gouvernance du nouveau modèle social. Si les syndicats, dont la représentativité des salariés est à repenser, auront toujours un rôle dans le dialogue social, de nouvelles formes de participation de la société civile sont à mettre en place dans la co-gestion du modèle.

Le contrat social de 1945 a été conçu pour protéger les personnes âgées et les familles nombreuses, ce qui a conduit à faire du jeune adulte le maillon faible de notre société. L’équité intergénérationnelle doit être un principe fondamental du nouveau modèle, ce qui suppose entre autres d’inscrire l’équilibre des comptes sociaux dans le marbre.

Nos cinq principes socles – universalité et solidarité, autonomie et liberté, engagement individuel, démocratie sociale, équité intergénérationnelle – instaurent un nouveau modèle source de mobilité sociale, de développement personnel et de liberté des choix de vie pour tous. Il s’inscrit dans une histoire positive porteuse d’un progrès social à la hauteur des innovations technologiques de notre époque.

Le candidat qui portera le mieux cet espoir à l’élection présidentielle sera certainement le prochain Président de la République !

 

Frédéric Bizard

 

(1)  Voir Le livre « Protection sociale : Pour un nouveau modèle », Dunod, Mars 2017

 Vidéo de présentation

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard, est un économiste spécialiste des questions de protection sociale et de santé. Il est professeur d'économie affilié à l'ESCP Europe et enseigne aussi à Paris Dauphine. Il est Président fondateur de l'Institut Santé.

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