Refonder le modèle social français: Pourquoi? Comment?

Risque d’implosion financière de notre système de retraites, chômage au plus haut historique et endémique depuis 30 ans, assurance maladie en déficit chronique depuis 25 ans, une pauvreté chez les jeunes en hausse, tous ces sujets ont comme racine commune l’inadéquation et l’archaïsme de notre modèle social face aux enjeux du XXIème siècle. Par crainte d’en payer le prix politique et par absence d’un projet alternatif crédible, aucun gouvernement ne s’est véritablement attelé jusqu’à maintenant à le remettre en cause. Pourtant, l’état très détérioré de la France sur le plan économique et social place la refondation de notre modèle social en situation d’extrême urgence.

C’est la raison pour laquelle l’Institut Thomas More publie ce jour un rapport, dont je suis l’auteur, sur le sujet dont voici les principaux points (rapport complet à télécharger en fin d’article).

Un modèle social en crise et dans l’impasse

On observe une triple crise du modèle ; d’abord une crise d’efficacité. Si une donnée suffisait à servir de baromètre du bien-être social, ce serait celle du chômage. Non pas seulement parce que le travail est source de dignité, d’estime de soi, de ressources financières et de développement personnel mais aussi parce que le chômage est une cause majeure des autres problèmes sociaux : exclusion, violence, maladie, précarité, pauvreté, inégalité, défamilialisation … Depuis les années 80, notre taux de chômage oscille entre 8 et 11% de la population active et place la France parmi les cinq pays les moins performants de l’OCDE. Avec plus de cinq millions de Français en recherche d’un emploi, la situation actuelle est une des pires de notre histoire et devrait encore se dégrader jusqu’à fin 2014 selon l’UNEDIC. Les premières victimes sont les jeunes, dont plus d’un quart des moins de 25 ans sont en recherche d’emploi alors que ceux qui en ont sont majoritairement en CDD ou en intérim. L’âge moyen du premier CDI est aujourd’hui de 30 ans.

Ensuite, on assiste à une crise de la légitimité du modèle social français. La France est engagée dans un cercle vicieux  de défiance dont les coûts économiques et sociaux sont très élevés. Depuis plus de 20 ans, les enquêtes menées dans les pays développés révèlent qu’en France plus qu’ailleurs, on se méfie de ses concitoyens, des pouvoirs publics, des politiques, des institutions et du marché.

Enfin, nous faisons face à une crise financière du modèle social français. Les dépenses publiques françaises, avec 57% de PIB en 2012 sont les plus élevées au monde et sont financées à crédit depuis 30 ans d’où une dette publique de 90% du PIB en 2012 (contre 20% en 1980). Les dépenses publiques sociales représentent 32% du PIB en 2012 contre 25% dans l’UE et 22% dans l’OCDE. La France dépense ainsi 140 milliards €, soit plus de 2100€ par habitant, de plus en dépenses sociales que la moyenne des pays de l’UE.

Le monde a changé, notre protection sociale doit s’adapter aux nouveaux enjeux

Dans les années 1945, les familles étaient stables et fertiles (baby boom), les hommes travaillaient la plus grande partie de leur vie (45 ans), on mourrait de pathologies aiguës et les retraites étaient courtes (5 ans contre 20 ans aujourd’hui). Les risques principaux étaient la pauvreté du travailleur âgé et les familles nombreuses. Alors que la pauvreté chez la personne âgée est devenue rare (4% des retraités sont au minimum vieillesse), l’insécurité économique et sociale chez le jeune adulte atteint des sommets. Le maillon faible de la société est dorénavant le jeune adulte.La structuration du risque aujourd’hui est différente de celle de 1945 puisqu’on est passé de risques sociaux courts à des risques sociaux longs (chômage, maladies chroniques, retraites). La gestion de ces derniers  nécessite une transformation profonde de notre système social et l’évolution d’une gestion du modèle par l’offre vers une gestion par la demande sociale.

A ces facteurs internes à notre société s’ajoutent des facteurs externes. La mondialisation a eu, en autres conséquences en France, la désindustrialisation du pays, avec une perte de 2 millions d’emplois et de 10 points de PIB (de 24% à 14%) dans l’industrie depuis 1980. Les évolutions technologiques (informatique et internet entre autres) correspondent à une révolution de civilisation avec l’avènement d’une société du savoir, pleine d’opportunités (participation politique, autonomie économique et social) et de risques (creusement des inégalités).

Passer d’un modèle corporatiste à un modèle universaliste, offrant une protection sociale universelle, active et autonome et dotée de nouvelles formes de solidarité

La nature corporatiste du modèle détériore l’efficacité et l’équité de notre organisation sociale. Le modèle de 45 lie les droits sociaux au statut professionnel du chef de famille. Même si la plupart des droits sociaux sont devenus universels au cours du temps, l’organisation de notre système social (notamment la sécurité sociale) est restée corporatiste, autour de groupements de métiers qui cherchent à faire respecter des distinctions de statuts et conditionnent les différents types de solidarité à l’adhésion à ces groupes. Les prestations dépendent des statuts comme en témoigne la multiplication des régimes de retraite. L’intervention de l’Etat  dans nombre d’activités de la société civile vide le dialogue social de son contenu. En passant d’un modèle corporatiste à un modèle universel, on prend en compte la pluralité sociale de la société civile qui permet la participation de tous, en tant qu’égaux, à l’organisation de la vie commune. Cette vision active de la société civile est notamment celle des associations volontaires, du développement du milieu associatif.

Un autre objectif du nouveau modèle est de rendre les personnes plus autonomes économiquement et socialement.La meilleure sécurité est celle qui maximise les chances pour une personne de construire son avenir, d’exploiter pleinement ses capacités de développement. L’allocation sociale devrait être un besoin transitoire pour le plus grand nombre des bénéficiaires. La protection sociale active doit être une source de mobilité sociale qui donne à tous la capacité (les capabilities selon Amartya Sen) de mener à bien son projet de vie. La vraie sécurité est celle dans laquelle on est acteur et pas simplement receveur. Le nouveau modèle social français devra transformer nos politiques sociales passives en politiques actives afin de donner à chacun le pouvoir d’agir. Dans une logique de politique sociale active, onpréfère le temps choisi à la réduction du temps de travail; on demande aux chômeurs d’assurer des services pour la collectivité et de se former en contrepartie des allocations chômage; on instaure l’autonomie des établissements scolaires et hospitaliers et on laisse un libre choix aux personnes de s’assurer pour leurs soins courants.

Les grands perdants de l’évolution économique et sociale de ces dernières années étant les jeunes adultes, ces derniers deviennent le centre de gravité du nouveau modèle social. Alors qu’ils n’ont encore acquis ni expérience, ni patrimoine, ni capital familial personnel, ils sont les laissés pour compte de notre organisation sociale. La solidarité intergénérationnelle publique du modèle de 45 est quasi uniquement ascendante; celle du modèle social de 2015 sera dans les deux sens mais à dominante descendante, des plus âgés vers les plus jeunes.

Mettre en place un Fonds Universel Jeunes Adulte (FUJA) : le « Permis d’avenir »

Le FUJA est un fonds accessible à toutes les personnes âgées de 18 à 29 ans, donnant un droit de tirage mensuel maximum de 800 € afin de subvenir à ses besoins de base pour étudier, se former, se loger et acquérir un emploi. Cette avance, appelé « Permis d’avenir », doit être remboursée à partir de la trentième année selon des modalités à discuter avec l’organisme gérant le fonds et selon la situation du bénéficiaire. L’éligibilité à ce fonds est conditionnée à un engagement dans une association (sportive, humanitaire, politique) et la maitrise de l’écriture et de la lecture. L’avance est versée sans condition de revenus ni de travail. Elle se substitue à toutes les allocations sociales existantes pour cette classe d’âge (RSA, APRE, ASS, APL, PPE…), à l’exception des prestations en nature du type santé, éducation. Ce « Permis d’avenir » vise à rétablir l’égalité des opportunités, l’autonomie plutôt que l’assistance, à relancer la mobilité sociale (l’ascenseur social) en panne depuis 30 ans dans notre pays. Les besoins de financement dépendront du taux et du niveau de recours des bénéficiaires. Les sources de financement seront l’attribution des sommes des aides sociales remplacées, puis celles générées par le remboursement de l’avance à partir de 30 ans. Si un besoin supplémentaire apparaît, un prêt des régions ou de l’Europe (voir décision de l’UE du 27/06/13) au fonds pourrait être envisagé.

Faire du modèle social un agent de la croissance économique

Le financement de notre protection sociale est historiquement assis sur le travail, faisant porter l’essentiel des coûts sur les actifs. Notre sécurité sociale est encore financée à près de 60% par les cotisations sociales et plus de 20% par la CSG qui pèse en partie sur les salaires. Il en résulte un coût du travail en France plus élevé de 24% que la moyenne des pays européens, ce qui pénalise notre compétitivité. Le passage à un modèle social universel supprime la logique de privilégier l’actif comme source de financement de notre protection sociale. Nous proposons de transférer le financement de la branche famille sur la consommation par une TVA sociale.

De même, il devient logique de faire participer davantage les retraités aisés au financement de leur santé. Alors qu’une part importante des dépenses de santé est générée par les retraités, ces derniers ne participent que marginalement à leur financement. Ils n’ont aucune cotisation sociale sur leur retraite de base et seulement 1% sur les retraites complémentaires. Leur participation financière principale se fait par l’intermédiaire de la CSG sur les pensions dont le taux est réduit à 6,6% contre 7,5% sur les salaires.  Dans une logique de protection sociale universelle, tout le monde doit participer de façon équitable aux dépenses sociales, notamment pour la santé. Il est donc justifié d’effectuer un rééquilibrage avec au moins un alignement du taux de CSG des pensions sur celui des salaires et une cotisation sociale santé sur les pensions élevées (2 ou 3 derniers déciles).

Du paritarisme à une gouvernance sociale participative

Nous disposons en France d’un oligopole social sclérosé et dont la légitimité est en chute libre. Il existe une véritable crise de la représentativité des partenaires sociaux. Le taux de syndicalisation est de l’ordre de 6% en moyenne mais à peine 2% dans le privé soit un des plus faibles d’Europe. Le modèle social français s’est transformé en contre-modèle, ruinant jusqu’à l’idée même du progrès et incapable de prendre les décisions d’ajustement du système. Une autre conséquence du modèle universel est d’acter la fin du paritarisme et de réinventer une forme de partage et d’exercice du pouvoir, fondée sur le renforcement de la participation de la société civile à la prise de décision en matière sociale. C’est donc bien une nouvelle forme de démocratie sociale participative qu’il faut mettre en place. On doit s’appuyer sur la société civile active et informée, ce qui nécessite un accès à l’information qui soit le plus large possible. Mettre la société civile au cœur du système social dans un processus de décision participatif est la seule façon à notre époque de faire des choix de politique sociale sous contrainte acceptables pour la population.

Nos dirigeants politiques, de droite comme de gauche, ont fait le choix ces dernières années, sans débat  démocratique, de l’étatisation de notre protection sociale. Cette voie est une impasse tant du point de vue de la faible légitimité actuelle de l’Etat et de ses représentants, que de l’avènement d’une société de l’information et du savoir qui transforme la gouvernance politique et même la façon de faire de la politique, en particulier en matière sociale.

Frédéric Bizard

Téléchargez le rapport complet ici: RapportModelesocial-2013 07

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard, est un économiste spécialiste des questions de protection sociale et de santé. Il est professeur d'économie affilié à l'ESCP Europe et enseigne aussi à Paris Dauphine. Il est Président fondateur de l'Institut Santé.

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