Tests Covid : un quoi qu’il en coûte plus politique que sanitaire ?

Le premier Ministre affirmait le 6 janvier dernier que « la France était le deuxième pays du monde à le plus tester ». Même si ces affirmations sont contestables dans les faits (nous étions 7ème avec 17 tests pour 1 000 habitants fin 2021), la question est de savoir si cette volonté politique d’être champion du monde sur le nombre de tests de dépistage est bien pertinente.

A ce rythme, la France risque de gagner un autre trophée mondial, celui du plus haut niveau de dépenses publiques pour les tests de dépistage du Covid. Après 2,6 milliards d’euros en 2020, 6,2 en 2021 et 1,5 sur le seul mois de Janvier 2022, nous en sommes à plus de 10 milliards d’euros de dépenses publiques dans les tests covid depuis le début de la pandémie. Le budget pour les tests prévu pour 2022 a été intégralement dépensé en janvier.  Un retour à un rationnel plus sanitaire et économique que politicien s’imposera assez vite.

D’un extrême à l’autre depuis 2020

« Nul ne peut combattre un incendie les yeux bandés » déclarait le directeur général de l’OMS le 16 mars 2020, appelant à dépister le plus largement possible les cas de Covid-19. A ce moment, la France choisit une autre stratégie, le dépistage ciblé sur des personnes présentant des symptômes graves et sur celles ayant été en contact étroit avec des cas confirmés Covid.

En réalité, la position de la France est dictée par la pénurie de test en mars 2020 et par les freins bureaucratiques. Le système sanitaire n’est pas préparé à une telle pandémie. La technostructure sanitaire décide de pratiquer les tests uniquement dans les hôpitaux publics.  Les laboratoires de ville manquent de kits de tests PCR et de réactifs. Les agences régionales de santé bloquent les autorisations pour les automates dans plusieurs régions.

La comparaison avec l’Allemagne était édifiante en début de pandémie. Les Allemands dépistent massivement, 10 fois plus que la France, utilisant dès le début les acteurs privés et leur fort réseau industriel. Fin mars, les Allemands déplorent 0,4 décès par million d’habitants contre 3,6 en France.

La stratégie française est inefficace, conduisant à un confinement collectif strict et long et un taux élevé de décès. Avant la sortie de ce premier confinement du 11 mai, le gouvernement change drastiquement de position et décide de dépister massivement à partir de mai 2020. Cependant, le déploiement massif des tests peine à s’installer, la chaine « dépistage-traçage-isolement » est fragile.

Le gouvernement va alors tout faire pour reprendre la main et passer d’un extrême à l’autre avec les tests. Remboursement à 100% par l’assurance maladie, négociation à la hussarde avec les biologistes d’un prix suffisamment attractif pour les inciter à démultiplier les moyens techniques et humains. Le même Premier Ministre annonçait fièrement le 15 décembre 2020 : « la France est le pays qui a le plus testé en Europe ». Il faut effacer de la mémoire collective les premiers mois de la gestion sanitaire de la Covid, quoi qu’il en coûte.

 

La gratuité des tests étendue aux touristes

Après la réalisation de 38 millions de tests en 2020, on en fera 168 millions (PCR et antigéniques) en 2021. Comme le dit le Premier Ministre, il faut être les champions du nombre de tests. La gratuité des tests est appliquée aux touristes étrangers de passage en France, contrairement à la plupart de nos voisins européens. De nombreux étrangers vivant près de la frontière française viennent en France pour se faire dépister gratuitement. Peu importe, il faut faire du chiffre. La France tente même de convaincre ses voisins de généraliser cette gratuité, en vain sans grande surprise. Nous cessons la gratuité des tests pour les touristes seulement le 7 juillet 2021.

En parallèle des tests massifs, la campagne de vaccination peine à décoller et le Président de la République, dans son discours du 12 juillet 2021, décide d’activer le levier du passe sanitaire. Ce dernier aura un double effet, une forte accélération du rythme de vaccination des Français et une explosion du nombre de tests. La semaine du 9 août où le passe est devenu obligatoire pour se rendre dans nombre de lieux publics, on passe à plus de 5 millions de tests par semaine, dont 70% de tests antigéniques réalisés en pharmacie. Cette bascule des labos de biologie (tests PCR) vers les 22 000 pharmacies (tests antigéniques) est un accélérateur puissant du nombre de tests.

Le dépistage massif en 2021 est probablement un investissement très rentable.  D’abord, il permet de conserver une activité économique quasi normale à l’exception du troisième confinement en avril. Ensuite, il rend acceptable le passe sanitaire par le plus grand nombre et est un succès pour inciter les Français à se vacciner. Ceci est vrai… jusqu’à l’arrivée d’Omicron.

 

Omicron change la donne mais pas la ligne politique

L’arrivée début décembre 2021 d’Omicron en France, change la donne du fait de son potentiel de contamination plus élevé, de sa moindre pathogénicité et de sa relative résistance aux vaccins. Soucieux de ne pas freiner la vie économique et sociale tout en évitant une saturation des services hospitaliers, le gouvernement va de nouveau s’appuyer sur le dépistage massif, notamment avec les auto-tests en pharmacie et même en supermarché début janvier 2022.

Le coûts des tests explose en décembre à 1 milliard d’euros, avec plus de 8,3 millions de tests dans la dernière semaine dont deux tiers d’antigéniques. Avec un omicron majoritaire à plus de 80% des contaminations en janvier, cette spirale inflationniste s’emballe à 1,5 milliard d’euros en janvier. Le dépistage massif fait de la France un des records mondiaux de cas en densité avec par exemple 450 000 cas le 19 janvier 2021, sachant que les Allemands viennent de dépasser les 100 000 cas journaliers et les anglais n’ont quasiment jamais dépassé les 150 000.

S’il est encore trop tôt pour évaluer de façon robuste le rapport coût-bénéfice de ces deux mois de sur-dépenses en tests, une révision des protocoles s’imposera vite. Le très haut niveau de dépistages pendant plusieurs semaines a mis une pression très forte sur les pharmacies, les laboratoires, le personnel des écoles et les parents. Ce coût social est à ajouter aux coûts financiers.

La forte différence du nombre de contaminations entre la France et nos voisins ne s’explique pas seulement par le plus grand nombre de tests. Avec Omicron, le dépistage massif s’avère peu efficace pour casser les chaines de contamination. Ainsi, l’autosatisfaction de Castex en décembre 2020 était bien plus justifiée qu’en décembre 2021.

Depuis le début de la pandémie, après un démarrage laborieux, la France a dépisté 3,3 fois plus que les Allemands (3,3 millions contre 1 million par million d’habitants). Ces derniers ont eu deux fois moins de cas déclarés mais un taux de décès un quart plus faible et des comptes publics moins dégradés que la France. Quant aux Anglais, ils ont réalisé deux fois plus de tests que la France et six fois plus que les Allemands (6,4 millions par million d’habitants) pour un taux de décès 20% et 62% plus élevé que la France et l’Allemagne respectivement.

Faire du nombre de tests un indicateur d’évaluation de la performance de la stratégie sanitaire actuellement apparait donc plutôt erroné. Il semble d’autant plus urgent de redéfinir notre stratégie de tests que les 60 milliards de déficit cumulé en 2020 et 2021 par l’assurance maladie, qui sera encore en déficit de 14 milliards en 2025, impose de revenir à une certaine rationalité économique, scientifique et sanitaire. Probablement un vœu pieu en période électorale !

 

Frédéric Bizard

 

 

Tribune publiée sur Figaro vox le 21 janvier 2022, ici 

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard, est un économiste spécialiste des questions de protection sociale et de santé. Il est professeur d'économie affilié à l'ESCP Europe et enseigne aussi à Paris Dauphine. Il est Président fondateur de l'Institut Santé.

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