Retraites : Pourquoi l’argument égalitaire ne suffira pas !

Les Français sont en train de prendre conscience du risque de dégradation de leur pouvoir d’achat une fois à la retraite dans les 30 ans à venir. En faisant de l’égalité l’objectif central de la réforme, le gouvernement a négligé ses conséquences économiques qui sont essentielles pour obtenir une acceptation sociale suffisamment large.

La passion égalitaire des Français a nourri leur adhésion initiale à la réforme des retraites, persuadant le gouvernement que cet axe de communication se suffit à lui-même pour aller au bout. Un euro cotisé donne les mêmes droits pour tous. Tous pareils !

Ce qui a fonctionné pour promouvoir la réforme pendant la campagne présidentielle ne suffira pas pour la faire accepter par le plus grand nombre.

 

L’égalité de traitement n’est pas l’enjeu central de la réforme

Avant d’être égalitaire, une société doit être juste selon John Rawls, le grand penseur de la justice sociale.

Le principe de différence, qui permet les inégalités à condition qu’elles soient à l’avantage de tous, assume l’idée que la société ne peut être égalitariste, mais qu’elle doit être ouverte et favoriser la mobilité sociale.

La première vocation d’un système de retraite (comme pour les autres risques sociaux) n’est pas d’être égalitaire mais efficace pour chacun dans la protection du risque. Ce risque est la paupérisation des personnes lorsqu’elles arrêtent de travailler du fait de leur âge avancé. Un bon système de retraites est un système qui assure à chacun suffisamment de pouvoir d’achat, de qualité de vie pendant la retraite. Le nouveau système ne sera pas acceptable s’il est économiquement dégradé. Tous pareils dans un système moins protecteur donne le sentiment d’être tous perdants.

En cela, le système actuel a plutôt bien fonctionné au XXème siècle. Il a permis aux retraités de disposer d’un pouvoir d’achat légèrement supérieur aux actifs (106%) et a réduit le taux de pauvreté chez les retraités à un taux (7,3%) le plus bas d’Europe et bien inférieur à celui de la population (14,7%). Il a rempli l’objectif d’efficacité à défaut de remplir celui d’égalité.

Comme au siècle précédent, le XXIème siècle comportera des situations de carrière et de métiers très diverses que le système doit appréhender. A ce titre, la question de la pénibilité est prioritaire pour la réussite de la réforme systémique. Le maintien du flou sur ce sujet dans le projet de réforme est nuisible, sachant que la bonification des points y répond plus efficacement que dans le système actuel.

 

Remettre l’économique au cœur de la réforme

Dans un futur proche, les nouvelles réalités démographiques (forte hausse du taux de dépendance démographique i.e. du ratio retraités/cotisants) et économique (croissance faible avec des gains de productivité proches de 1%) changent la donne, quel que soit le système de retraites choisi. Dans un tel contexte, le risque économique de baisse des pensions d’ici à 2050 est majeur et a été occulté au profit du seul argument de justice égalitariste. Nous devrons tous être soumis à la même règle.

Le seul problème, c’est qu’aujourd’hui les Français font leur compte (notamment grâce au foisonnement de simulateurs de retraite) et prennent conscience qu’on va être tous pareils mais dans un système économiquement dégradé. Même si le système universel à points n’est pas la cause de cette situation, il est facile d’en faire un bouc émissaire et de tuer la réforme.

Pourtant, au moins trois raisons font de l’instauration d’un système universel à points une excellente réforme pour mieux protéger les Français dans le futur. Il favorise la mobilité professionnelle des travailleurs, élément crucial dans le marché du travail de demain. Il inclut davantage les préférences individuelles dans la protection sociale, en améliorant la lisibilité du système et l’autonomie des personnes dans la gestion du risque. Et, il réduit les coûts de gestion qui sont inutilement élevés avec 42 régimes.

En bref, un système de protection sociale basé sur les personnes est plus efficace et plus juste qu’un système basé sur les statuts (1).

Encore faut-il prendre en compte les aspects économiques pour le promouvoir.

Dans un système par répartition, la masse des recettes issues des cotisations appliquées aux revenus doit être égale au total des pensions versées sur un cycle économique. Les recettes dépendent du nombre de cotisants, des taux de cotisations et du revenu moyen des cotisants. Dans un avenir de croissance faible à modérée et avec des cotisations déjà très élevées, seul le nombre de cotisants est un levier fiable. Cela implique de faire travailler les personnes plus longtemps.

Côté dépenses, la masse des pensions est simplement le produit des pensions moyennes versées par le nombre de retraités. Avec une hausse de plus de 35% de la dépendance démographique d’ici à 2050, les retraités vont représenter 70% de la population active contre 58% aujourd’hui. La variable d’ajustement économique du système est le taux de remplacement moyen des retraites (valeur relative moyenne des pensions par rapport au revenu moyen des actifs).

Ce taux de remplacement selon le Conseil d’orientation des retraites devrait baisser de 30% d’ici à 2050 dans le scénario principal. Ainsi, chaque profession, chaque citoyen, chaque syndicat peut faire ses comptes et apprécier l’étendue du risque de chute des pensions. Il est temps que le Président Macron rappelle l’injonction de Clinton à son équipe en 1992 : « It’s the economy, stupid ».

 

Revoir et compléter la copie du projet de réforme

Aveuglé par l’objectif égalitaire, l’équipe en charge du projet a conçu un régime universel (avec un plafond de cotisations à 120 000 euros) omnipotent, qui condamne l’existence de tout régime complémentaire. En effet, cela créerait des différences. Sauf qu’en faisant cela, il dégrade sérieusement le système universel. Le taux de remplacement d’équilibre sera trop faible pour bien protéger les classes moyennes, ce qui allonge la liste des perdants. Aucun pays ayant instauré ce système n’a commis un tel non-sens économique.

Les régimes professionnels complémentaires sont condamnés, sans bénéfice pour la collectivité et avec une perte inutile pour certaines professions.  Le régime universel ne sera socialement et économiquement efficace que s’il est plafonné au maximum à 50 000 euros, ce qui représente déjà deux fois le salaire moyen.

Si l’Etat pourrait imposer une règle d’or d’équilibre des comptes sur un cycle économique, le pilotage de la valeur du service du point devrait être confié à une démocratie sociale élargie aux associations de retraités. Pour les raisons évoquées supra, seul l’allongement de la durée de travail permettra à la fois d’équilibrer les comptes et de maintenir un niveau de pension suffisant. En conséquence, un âge pivot autour de 65 ans est à définir donnant droit à 100% de la valeur du point et accompagné d’une décote et d’une surcote en cas de départ prématuré et retardé respectivement. Un mécanisme de bonification des points pour prendre en compte la pénibilité, quel que soit la profession, doit compléter l’édifice.

Avec de telles mesures, le gouvernement sera nettement mieux armé pour démontrer le net avantage comparatif économique et social du futur système dans le monde de demain par rapport à l’existant. Il se trouve en plus qu’il est plus égalitaire, tant mieux !

 

(1) Thèse démontrée dans mon livre: « Protection sociale: Pour un nouveau modèle », Dunod, 2017

 

Article publié le 2 décembre 2019 dans Les Echos

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard, est un économiste spécialiste des questions de protection sociale et de santé. Il est professeur d'économie affilié à l'ESCP Europe et enseigne aussi à Paris Dauphine. Il est Président fondateur de l'Institut Santé.

1 Comment

  1. Une des caractéristiques essentielles de cette réforme, jamais commentee, est la banalisation, sous l’angle des retraites, de l’emploi oublic, qui fait sauter le verrou mental de son particularisme absolu.
    « Ils » ne sont plus si différents.
    Banalisation, simplification, peut être prélude à un délestage de « petit peuple » du chez nous de l’État ?

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