Liberté et santé seraient-elles devenues incompatibles !

Interrogée sur France Culture le 18 avril, une économiste de la santé – membre du conseil d’analyse économique, qui inspire le gouvernement sur les réformes – s’est exprimée sur la loi de santé et sur la mise en place du tiers payant généralisé (TPG). Sur ce dernier, elle déclare, « c’est la mort annoncée de la médecine libérale et c’est une bonne chose parce que la médecine libérale est incompatible avec un système d’assurance maladie comme le nôtre ».

Ces propos tenus dans un environnement serein ne sont pas anodins du fait des responsabilités de la personne qui les tient mais aussi parce qu’ils sont partagés par une part non négligeable de notre élite, qui agit en coulisse au démantèlement de notre modèle de santé depuis plus de 20 ans. Rappelons que Marisol Touraine a fait du TPG l’étendard de sa loi, sous le sceau du progrès et de la justice.

Les propos précités nous confirment bien que la loi santé n’a rien d’une loi de modernisation de notre système de santé et tout d’une loi de destruction de ce dernier pour le remplacer par un autre modèle.

Cette élite revancharde qui n’a jamais accepté le modèle de santé français

Leur raisonnement est simple, le marché et les acteurs privés qui le composent ne peuvent pas produire de valeurs sociales positives, seul l’Etat et son administration sont en mesure de le faire. Si leur système est celui du NHS anglais, leur modèle est notre éducation nationale. Un élément fondamental de différenciation entre le système anglais et français repose sur le droit des usagers à choisir librement leur médecin et leur établissement de santé. Pour exercer cette liberté de choix, la mise en concurrence des offreurs de soins est nécessaire, ce qui nécessite d’accepter une offre mixte publique et privée.

Principe inacceptable dans leur schéma de pensée, s’appuyer sur des mécanismes propres au marché pour délivrer des soins. Pourtant, les Français ont choisi ce principe, au nom de la liberté qui est la source de toute justice sociale comme John Rawls l’a parfaitement démontré dans sa théorie de la justice, œuvre référence sur le sujet. La santé est bien un marché mais pas un bien de consommation comme un autre. C’est la raison pour laquelle ce marché doit être étroitement régulé. La théorie économique nous démontre que ce n’est pas tant le statut des opérateurs de santé qui importe mais la régulation de ces opérateurs.

La médecine libérale est bien compatible avec notre système solidaire

 D’abord les faits. La médecine libérale française a produit la médecine de ville la plus coût efficace au monde, associant un niveau d’accessibilité et de qualité de très haut niveau à des coûts moindres. Les soins de ville représentent 22% des dépenses de santé totales en France contre 33% en moyenne dans l’OCDE, c’est-à-dire qu’ils coûtent 27 milliards d’euros de moins (toutes choses étant égales par ailleurs) que dans la moyenne des autres pays développés. 95% de la population française a accès à des soins de proximité à moins de quinze minutes de son domicile. Si la médecine libérale française soigne les soins courants de la quasi totalité de la population depuis près d’un siècle, c’est bien qu’elle a joué un rôle social.

La médecine libérale s’appuie sur la liberté et la responsabilité de ses acteurs pour fournir à tous une égalité de moyens pour lutter contre la maladie. A titre d’exemple, la liberté de prescription associée à l’indépendance professionnelle du médecin et à son obligation éthique de mettre en œuvre tous les moyens à sa disposition pour soigner chaque patient est un modèle plus efficace et plus juste socialement que celui dominé par la coercition et la soumission aux financeurs.

Ainsi, la médecine libérale est non seulement compatible avec notre système solidaire, elle en est un pilier.

Mais aller dire à cette élite que la médecine libérale est aussi sociale, que l’initiative privée est compatible avec un système solidaire s’il est correctement régulé, c’est comme tenter de convaincre un dictateur patenté des bienfaits de la démocratie. Leur monde est binaire: l’asservissement au marché ou l’asservissement à l’Etat, Hayek ou Marx !

Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage

 Afin de supprimer la médecine libérale, il faut la discréditer suffisamment pour que les Français ne se révoltent pas. Pour cela, le plan de communication du ministère s’appuie sur un enjeu, l’égalité d’accès aux soins qu’elle décrète arbitrairement incompatible avec deux principes: la liberté des honoraires et la liberté d’installation des médecins.

La liberté d’honoraires a toujours existé dans une certaine mesure au sein de notre système de santé, elle a été étendue en 1980 par les pouvoirs publics eux-mêmes. Cette liberté d’honoraires, appliquée avec tact et mesure et accompagnée de mesures sociales pour les bas revenus, a permis l’accès à tous les Français aux innovations médicales sans peser sur les comptes de l’Assurance maladie. La gratuité des soins, qui se profile derrière le TPG et qui rend cette liberté d’honoraire en quelque sorte caduque, ne fait pas partie de la logique solidaire en santé de notre pays. Cette logique est une solidarité entre les bien portants et les malades avec l’existence d’un reste à charge, le point est que ce dernier ne soit pas un obstacle financier pour se soigner. C’est pourquoi le système est complété depuis l’origine par une mutualisation assurantielle privée. Or, c’est ce système de complémentaire santé, inefficace dans la mutualisation des restes à charge élevés et inégalitaire, qui est responsable des difficultés d’accès à certains soins pour une partie de la population.

La deuxième manipulation de notre élite bien-pensante est le lien entre déserts médicaux et liberté d’installation des médecins. Si les médecins ne s’installent plus dans certaines régions de France, ce serait la preuve que la liberté d’installation fût incompatible avec un système universel d’accès aux soins. C’est pourtant bien cet exercice libéral, incitatif – plus tout autre mode d’exercice – pour le médecin à s’installer là où sont les patients, qui a développé au XXème siècle en France un accès pour tous à des soins de proximité et de qualité. Les politiques publiques des trente dernières années sont responsables de la création de zones désertiques en service public et du dépeuplement des villes en médecine libérale.

Les faits sont tenaces mais « ils ne pénètrent dans le monde où vivent les croyances » disait Proust.

Cette élite ignore les causes réelles des problèmes afin d’utiliser ces derniers pour imposer leurs propres croyances, leurs propres règles, sans débat démocratique.

Tout ceci nourrit la crise de confiance profonde que traverse notre pays. On détruit ce qui a contribué à la grandeur de notre pays. Pour cela, on sort les armes de la division et du populisme pour mieux régner sur un peuple en désarroi. La loi santé en est une parfaite illustration. Il devient urgent de réagir; comme scandait Mirabeau à la tribune de l’Assemblée en 1789: « gardez-vous de demander du temps, le malheur n’en accorde jamais » !

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard, est un économiste spécialiste des questions de protection sociale et de santé. Il est professeur d'économie affilié à l'ESCP Europe et enseigne aussi à Paris Dauphine. Il est Président fondateur de l'Institut Santé.

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Frédéric Bizard au 20h de TF1 du 13 mars 2015

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