Lettre au Président de la République

Présidence de la République

Le  20  janvier 2009

Monsieur Le Président,

Nous nous sommes réjouis de votre volonté affirmée de réformer notre système de santé. Cependant, face à la gravité de la situation dans laquelle celui-ci se trouve, la rapidité de sa dégradation et les conséquences sociales et sanitaires désastreuses qui en résultent, nous souhaitons appeler solennellement votre attention sur la nécessité impérieuse et urgente de sa refonte globale et profonde.

L’affaiblissement de  notre outil hospitalier, de notre médecine de ville et de notre secteur médico-social touche directement nos concitoyens tant en ce qui concerne l’inégalité de l’accès à des soins de qualité, que le risque de perte de chance et d’espérance de vie sans incapacité. Le désespoir du personnel soignant dans notre pays est le reflet de ce que vivent nos concitoyens au quotidien, de leur sentiment d’inquiétude grandissant quant à la possibilité pour eux d’être convenablement soignés.

Malheureusement, il nous parait que le projet de loi « Hôpital, Patients, Santé, Territoire » (HPST), tel qu’il est présenté, n’est pas à la hauteur des problèmes et que les dispositions prévues par ce texte se révèleraient rapidement, s’il demeurait en l’état, comme  inadaptées, sous-calibrées et dangereuses.

Il correspond à une reprise en main administrative de l’ensemble des secteurs de soins. La mainmise technocratique déjà instaurée à l’hôpital a pourtant beaucoup affaibli notre tissu hospitalier, autrefois reconnu à l’international. Sa généralisation va détruire toute notre organisation de soins. Il confie tous les pouvoirs à des technocrates (directeurs des ARS, des hôpitaux) qui n’ont pas les compétences pour gérer l’offre de soins, sinon en la rationnant et en la gérant comptablement.

La mauvaise gestion des sommes importantes allouées aux hôpitaux ces dernières années a montré que la voie technocratique était une impasse. Une meilleure gestion du budget est sans doute une nécessité économique mais aussi un devoir éthique et moral afin de pérenniser le principe de solidarité. Pour cela, opposer la logique financière à la logique médicale est une erreur. Un pacte de confiance doit être (re)construit entre toutes les parties du système afin d’instaurer une gestion médicale efficace, associant  des objectifs de performances des soins à des objectifs économiques. Au lieu de cela, le projet de loi contient les germes de la division et de la déresponsabilisation.

La faiblesse d’HPST concernant les parties sur « l’accès de tous à des soins de qualité » et « prévention et santé publique » est le signe au mieux de l’absence de prise de conscience par le Ministère de l’état actuel des inégalités sociales face aux soins et de la place centrale de la prévention individuelle, au pire d’un renoncement à la continuité du pilier républicain de notre pays qu’est le droit à la santé pour tous, incarné dans les principes fondateurs de la sécurité sociale.

HPST est dangereux car il ne résout rien pour nos concitoyens quant au risque de dégradation de la prise en charge sanitaire. Il réussit aussi  l’exploit de faire l’union de la quasi-totalité du monde de la santé contre lui. Nous connaissons, Monsieur le Président, les difficultés financières qui résultent de la situation économique actuelle, mais nous savons bien aussi que vous ne pouvez pas accepter  qu’il soit possible de laisserla Frances’enfoncer dans une situation de risque sanitaire qui pourrait se révéler à l’occasion de la moindre crise.

En outre, et nous le regrettons, mais c’est ainsi, le risque d’une rupture sans précédent des corps médical et paramédical avec la représentation nationale si la loi HPST était votée en l’état, ne peut être dissumulé.

Pour toutes ces raisons, nous vous demandons solennellement, Monsieur le Président, de repousser la présentation au Parlement d’un nouveau projet de loi de réforme de la santé afin de donner le temps à une large concertation et à l’élaboration d’un nouveau texte à la hauteur des enjeux. C’est en effet le manque de concertation de l’administration avec les autres parties du système qui explique probablement l’inadaptation de HPST aux enjeux et réalités médicaux d’aujourd’hui. C’est d’ailleurs la raison principale pour laquelle le Conseil dela Caissenationale d’assurance maladie (Cnamts) a émis un avis défavorable à son encontre.

Le groupe de signataires de cette lettre se compose de professionnels de santé et de diverses personnalités de tous horizons socio-politiques dont le seul souci est de contribuer à la reconstruction d’un système de soins de premier plan en France.

Lors de vos vœux de 2008, vous aviez souligné la nécessité de développer une politique de civilisation. Parcequ’il s’agit en effet d’un sujet de civilisation pour préserver le rang dela Franceparmi les nations modernes et humanistes et parce que nous savons l’importance que vous attachez à ce défi, tous nos espoirs reposent sur vous, Monsieur le Président, pour que soient prises les décisions nécessaires à l’adaptation de notre système de santé aux exigences et aux possibilités du XXIème siècle.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, les assurances de notre plus haute considération.

Signataires

Docteur Amzalag Alain Chirurgien dentiste
Professeur Aubier Michel Service de Pneumologie, hôpital Bichat, Paris; Unité Inserm 700, Faculté Xavier Bichat
Docteur Ayache Jean-Yves Ophtalmologue, expert auprès du Sénat
Professeur Bégon François Professeur honoraire à la faculté de médecine de Poitiers
Docteur Bizard Frédéric Maître de conférences à Sciences Po Paris
Docteur Chneiweiss Laurent Psychiatre, Spécialiste du stress et de l’anxiété; Auteur d’ouvrages grand public de références tels que
Docteur Chneiweiss Hervé Neurologue, Directeur de recherche au CNRS, Professeur de biologie au Collège de France
Docteur Cocaul Arnaud Nutritionniste; Médecin praticien attaché à l’hôpital de la Pitié Salpétrière
Docteur Dupin Patricia Gynécologue
Docteur Dupin Philippe Chirurgien urologue. CH Hôtel Dieu, Paris
Professeur Dalery Jean Chef de service de Psychiatrie, CHU Lyon,
Professeur d’Université
Docteur de Carvalho Wiliam Psychiatre
Docteur Elia David Gynécologue; Membre de plusieurs sociétés savantes
Professeur Gougelot Louis-Marie Chirurgien ORL, Ancien chef de service
Docteur Grandsenne Philippe Pédiatre
Docteur Kassas Abdul Psychiatre
Professeur Meyrignac Christian Chef de service Médecine interne,
Centre hospitalier intercommunal de Créteil
Docteur Nocus Stéphanie Psychiatre
Professeur Papiernik Emile Ancien Chef de service de Gynécologie-Obstétrique à l’Hôpital Cochin Port-Royal-APHP, Professeur émérite Paris Descartes
Docteur Royant-Parola Sylvie Psychiatre, Spécialiste du sommeil, Présidente du réseau Morphée: 1er réseau de prise en charge des troubles du sommeil
Docteur Simon Alain Médecin du sport

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard, est un économiste spécialiste des questions de protection sociale et de santé. Il est professeur d'économie affilié à l'ESCP Europe et enseigne aussi à Paris Dauphine. Il est Président fondateur de l'Institut Santé.

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