Le gouvernement a décidé de réduire brutalement le plafond des remises conventionnelles accordées aux pharmaciens par les industriels sur les génériques : de 40 % à 30 % en septembre 2025, puis à 20 % en 2026.
Une décision lourde de conséquences, nuisible à quatre titres :
- Une menace directe pour la viabilité économique de milliers de pharmacies ;
- Un marché de dupes avec les industriels ;
- La destruction d’un levier essentiel d’équilibre économique ;
- Le choix du rabot et du bricolage plutôt qu’une vraie réforme structurelle.
Des pharmacies en danger de fermeture accélérée
Après le pic d’activité du Covid (tests, vaccins), qui a généré autant de revenus que de charges, puis la flambée inflationniste de 2022-2023 (+10 %), les pharmacies subissent aujourd’hui un effet ciseau :
- Moins d’activité, notamment dans les déserts médicaux ;
- Des marges en baisse continue, accentuées par la baisse du prix des médicaments ;
- Des charges fixes toujours élevées.
Il faut ajouter à cela que des milliers de pharmacies sont dans des déserts médicaux, ce qui mécaniquement fait baisser leur activité (peu de prescriptions), celle-ci étant reportée dans les grandes villes.
La radicalité de cette mesure (de 40% à 20%) est le signe d’une grande ignorance du modèle économique par la technostructure (ce type d’arbitrage est pris par un profil type directeur de cabinet adjoint du Ministère ou de Matignon, qui ne s’est peut-être jamais occupé de santé), et par le Politique, qui ne s’est aperçu du problème qu’après avoir vu la grève des gardes des pharmaciens dans les journaux en prenant son café.
Cette radicalité équivaut à une perte de marge comprise entre 200 et 250 M (20 à 25M par point de marge perdu) la première année pleine et le même montant supplémentaire (passage à 20%) la deuxième année pleine, soit 400 à 500 M€ au total (20 000 à 25 000 € en moyenne par pharmaciens). Le sort n’est pas identique pour chaque pharmacie en fonction de sa localisation mais l’ordre de grandeur global est celui-ci.
Si vous considérez que 25% à 30% des pharmacies, selon les enquêtes, sont en situation économique fragile, ce maillon faible va craquer. Il faut vraiment être enfermer dans un bureau sous les dorures d’un Ministère pour ne pas se rendre compte de l’impact délétère pour la santé publique : le pharmacien est non seulement un acteur majeur de cette santé publique, mais quelquefois le dernier restant dans certains territoires.
Un marché de dupes avec les industriels
Cet effondrement des marges ne fait faire pas un euro d’économie directe à l’Assurance maladie puisque ce sont des marges sur les prix d’achat de pharmaciens (ou des groupements) aux industriels. Ce n’est pas la peine de crier haro sur les industriels car l’idée de ces génies de la techno est d’aller ensuite prendre cet argent dans la proche de industriels par des baisse de prix des génériques et autres médicaments matures.
Pour faire simple, tout rabot sur les prix de vente des médicaments matures génère un haut risque de rupture car il est synonyme de vente sans marge ou à perte pour l’industriel. Ainsi, il ne reste plus qu’à comprimer les marges de l’opérateur principal de la chaine pour continuer le petit jeu du rabot, sans rien réformer.
Eh bien non, ce n’est plus possible les gars !
C’est un marché de dupes pour les industriels car :
- Affaiblir le réseau des pharmaciens va contre leurs intérêts ;
- Le développement du marché des génériques va dans le sens de leurs intérêts ;
- Toute économie significative sur les médicaments, sans nuisance, exige une réforme de fond sur le financement et la régulation du médicament.
Un modèle économique du médicament déjà fragilisé
Le modèle économique du médicament ne peut se comprendre que si vous prenez l’intégralité du cycle de vie d’une molécule : de son lancement comme un produit innovant qui peut être sans concurrent d’où sa valeur économique élevée (ce qui est rare est cher), puis vers l’arrivée de concurrents et donc sa valeur baissée (la valeur utilitaire l’emporte), puis son brevet tombe dans le domaine public, la molécule est génériquable par tout labo avec un prix qui baisse de 60% …
Or, la France a un grand retard sur le marché du générique avec une part de marché en volume du générique <50% contre 78% au Canada, 80% au RU, 83% en Allemagne …
Un marché dynamique des génériques est indispensable pour financer l’innovation. Aujourd’hui, la France est peu compétitive sur les deux marchés. Bravo les gars !
On ne fait pas des économies sur des économies, sur le levier principal qui génère des économies ; c’est facile à comprendre, non ?
La réforme, pas le rabot
Si quelqu’un vous dit, la mesure est compensée par une hausse de la marge à 15% sur les génériques des biothérapies (les biosimilaires), vous répondez ceci.
D’abord c’est faux économiquement, on est loin d’une compensation. Ensuite, nos petits génies ont mis des freins administratifs à leur développement (délai pour les rendre substituables). Enfin, les deux marchés génériques et biosimilaires doivent être développer dans tout leur potentiel dans l’intérêt de tous les acteurs, dont la collectivité.
La leçon de cette affaire est intéressante parce qu’elle est semblable à la plupart des mesures du budget social 2026. Elle symbolise l’espoir du gouvernement de n’avoir aucune réforme (on pourrait discuter des raisons) à faire tout en remettant les comptes sur le droit chemin.
C’est impossible pour les médicaments, pour les pharmaciens comme pour chaque composante du système de santé (hôpital, médecin, infirmiers…).
Rappelons que les 5 Mrds € d’économies sur la santé pour 2026 ne change rien à la trajectoire budgétaire non soutenable à moyen terme de la branche santé de la sécu, qui garde un déficit annuel structurel, supérieur à 15 Mrds € chaque année d’ici 2030.
Donc des mesures qui fragilisent notre santé publique et les professionnels de santé … pour ne rien régler aux déséquilibres financiers structurels !
Chapeau l’artiste !
Seule une réforme globale permettra de redresser notre système de santé et les comptes publics !
Donc les pharmaciens tenez bon !
La réforme est connue et prête
A bon entendeur, salut !
FREDERIC BIZARD