Refonder le financement du modèle social français!

Un modèle social refondé et modernisé ne peut reposer sur les mêmes sources de financement et délivrer les mêmes formes de prestations que celui de 1945 tant l’environnement social et économique s’est transformé. Il convient d’en tirer toutes les conséquences et de proposer des solutions novatrices.

Faire du modèle social un outil majeur du retour à la croissance et au plein emploi

Le niveau de l’emploi sera inévitablement la variable d’ajustement de la générosité du nouveau modèle social. Pour maintenir un standard élevé de protection sociale, l’État doit se fixer comme impératif la création des conditions de la croissance qui, seule, permet d’atteindre l’objectif de plein emploi. Un système social solidaire et universel nécessite de minimiser les problèmes sociaux et de maximiser les revenus de l’État. En effet, la solidarité est fondée sur la redistribution mais la redistribution nécessite la création de richesse que permet l’économie de marché. La vitalité de la société civile, le dynamisme du secteur privé et l’esprit d’entreprise sont les valeurs à développer pour absorber les chocs du changement. Le système social doit devenir un agent majeur du redressement du marché du travail et du retour de la croissance.Il aide les personnes à concilier leur rôle d’acteurs économiques, d’acteurs sociaux et de membres d’une famille. Le nouveau modèle social doit être capable de réduire les dépenses sociales passives d’indemnisation au profit des dépenses actives en matière d’éducation et de formation professionnelle.

Famille : favoriser l’harmonisation la plus grande entre travail et maternité

La conception du plein emploi abordée ici n’est pas la même que celle de l’après-guerre. Le plein emploi intègre désormais les femmes et tous ceux qui veulent travailler. L’accroissement du taux d’emploi pourra être obtenu en rétablissant la compétitivité industrielle mais aussi en développant le secteur des services. Les gains de productivité dans les services sont faibles. La consommation de services par les familles augmente avec les revenus et la demande diminue si les prix relatifs sont trop élevés. Une source de hausse de demande en services est la contrainte de temps.

La plus grande liberté de choix possible doit être laissée aux personnes dans l’organisation de leur vie familiale. Cela nécessite une politique familiale active et volontariste, qui passe notamment par la mise en place des infrastructures et des services permettant aux femmes de mieux harmoniser le travail et la maternité. Dans le système actuel la jeune mère de famille comme son conjoint peuvent avoir plus intérêt sur le plan financier à cumuler les aides sociales plutôt que d’accepter un travail à temps partiel au SMIC.

Transférer le financement de la branche famille sur la consommation

Les prestations familiales nettes de la Sécurité sociale sont de l’ordre de 40 milliards d’euros par an, financées à 65% par les cotisations sociales, soit une charge de l’ordre de 25 milliards d’euros sur les salaires. Nous proposons de financer cette charge à partir d’une TVA sociale de 3 points qui porterait notre taux de TVA normal à 23%, soit un niveau intermédiaire entre l’Angleterre (20%) et les pays scandinaves (25%). Cette initiative sort complètement le financement de la famille des cotisations sociales. Seule la CSG (24% des recettes de la famille) reste une charge en partie supportée par le travail. Dans la société de consommation telle que nous la connaissons, le financement de la politique familiale à partir des dépenses de consommation fait sens. En Effet, 40% de notre marché intérieur est constitué de produits importés sur lesquels il est logique de faire supporter une partie des coûts des dépenses sociales des consommateurs.

Faire participer davantage les retraités aisés au financement de la santé

La santé est financée à 49% par les cotisations sociales sur les salaires (plus de 80 milliards d’euros), à 35% par la CSG (58 milliards d’euros) et le reste par des impôts et des taxes (27 milliards d’euros).

Alors qu’une part importante des dépenses de santé est très naturellement générée par les retraités[1], ces derniers ne participent que marginalement à leur financement. La raison en est que le modèle de 1945 a été conçu pour faire payer les actifs avant tout, et pas les retraités. Les retraités n’ont aucune cotisation sociale sur leur retraite de base et seulement 1% sur les retraites complémentaires. Leur participation financière principale se fait par l’intermédiaire de la CSG sur les pensions, dont le taux est réduit à 6,6% contre 7,5% sur les salaires.

Dans une logique de protection sociale universelle, tout le monde doit participer de façon équitable au financement des dépenses sociales, notamment pour la santé. Si l’on doit réaffirmer un engagement fort en faveur du maintien du niveau des pensions (notamment par son indexation sur l’inflation), il paraît aujourd’hui justifié d’effectuer un rééquilibrage avec au moins un alignement du taux de CSG des pensions sur celui des salaires et une cotisation sociale santé sur les pensions élevées (2 ou 3 derniers déciles). L’intégralité des sommes générées pourrait aller à l’allègement des charges sociales prioritairement sur les bas salaires. Ces deux mesures permettraient de baisser les charges sociales d’environ 30 milliards d’euros, soit 1,5% de PIB. Les charges sociales[2] (patronales et salariales) d’un salaire élevé (plus de 2,4 SMIC) passeraient sous la barre des 50% (de 54,20% à 48,8%) et celles d’un salaire bas passeraient sous la barre des 25% (de 28,20% à 24,75%).

Faciliter l’instauration d’une politique économique de l’offre

La refondation de notre modèle social est l’occasion de redonner de la cohérence entre politique sociale et politique économique. Depuis les années 1970, la France s’est montrée remarquable dans la persévérance dans l’erreur de sa politique économique : la relance par la demande. Que ce soit par le creusement des déficits publics dans les années 1970 et 1990 que dans la hausse des salaires dans les années 1980, nos politiques ont toujours fait le choix de la demande pour répondre à un choc d’offre. Cela a conforté les Français dans l’idée que l’État était finalement le meilleur garant de leur pouvoir d’achat et non le marché. On a fait croire aux Français que l’État pouvait tout pour eux.

La sensibilité de notre production domestique aux politiques de relance de la demande est devenue quasiment nulle. Les mesures prises récemment[3] se sont soldées par une hausse des importations plutôt qu’un accroissement de la production domestique. Nous devons donc faire évoluer l’opinion publique et celle des responsables politiques d’une culture de soutien de la demande vers une culture de soutien de l’offre. Ce sont des politiques de type « schumpétérien » et non plus de type « keynésien » qu’il convient de mettre en œuvre désormais. En investissant dans la formation des individus pour leur permettre de passer d’un poste à un autre au cours de leur carrière. En transférant une partie de la charge des dépenses sociales sur d’autres assiettes que le travail, on entraine une baisse du coût du travail en phase avec cette politique de l’offre absolument nécessaire.

Instaurer une culture de l’expérimentation et de l’évaluation des politiques sociales

Outre l’évolution des mentalités, il est nécessaire de mettre en place les indicateurs numériques pour mesurer la productivité de l’État, ce que nous avons à peine commencé à faire en France. De plus, il faut en finir avec la non-transparence des coûts de production des services publics. Les politiques sociales publiques doivent être systématiquement soumises à une évaluation de leurs résultats. C’est donc une culture de l’évaluation et du résultat qui est à développer dans le nouveau modèle. L’open data est pour cela indispensable. C’est en incluant le concept de productivité de l’État que les pays nordiques ont révolutionné leur modèle social dans les années 1990, sans que cela se traduise d’ailleurs par un désengagement complet de l’État du modèle social.

Outre la mesure de la productivité de l’État, il serait utile de faire porter la charge de la preuve de l’efficience d’une politique sociale publique par l’État avec le corollaire de l’arrêt de la dite-politique si ses effets bénéfiques ne sont pas démontrés.

Ce changement de culture sera également favorisé par l’encouragement fait aux expérimentations, à l’innovation sociale et à la mise en concurrence entre les différentes expériences ainsi conduites. Les bonnes pratiques émergent en effet plus aisément lorsqu’est laissé libre court à l’imagination et à la diversité des expériences que dans un carcan unique.

Ces évolutions sont à réaliser en étroite concertation, sans que cela remette en cause les objectifs, entre toutes les parties concernées de façon à trouver un consensus sur les moyens de réformer l’État et d’en mesurer et améliorer la productivité. Il s’agit donc inévitablement d’un processus long qu’il faut démarrer le plus tôt possible.

Frédéric Bizard



[1] Les affections de longue durée, soit les deux tiers des dépenses de santé, sont plus fréquentes chez les plus de 60 ans et le risque de décès est plus élevé, or un individu consomme autour de 50% de ses dépenses de santé les deux ou trois dernières années de sa vie.

[2] A l’exclusion des autres charges pesant sur les salaires mais ne finançant pas la protection sociale.

[3] On pense aux boni pour l’achat d’une voiture ou pour le photovoltaïque.

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard, est un économiste spécialiste des questions de protection sociale et de santé. Il est professeur d'économie affilié à l'ESCP Europe et enseigne aussi à Paris Dauphine. Il est Président fondateur de l'Institut Santé.

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