Déserts médicaux, l’autre mal français de nos politiques publiques !

Depuis 30 ans, l’obsession de tout gouvernement en matière économique est la lutte contre le chômage. Depuis 10 ans, celle de tout gouvernement en santé est la lutte contre les déserts médicaux. Ces deux maux de la société française sont de purs produits des politiques publiques menées. Le déni des dirigeants politiques sur ce fait les conduit régulièrement à ressortir les mêmes solutions qui ont déjà échoué et à chercher des boucs émissaires. La solution existe dans les deux cas mais elle ne peut être que structurelle et nécessite un changement de cap politique. Voyons le cas des déserts médicaux !

Une situation qui s’aggrave malgré la multiplication des mesures

Si la couverture médicale du territoire reste correcte en France aujourd’hui, nul ne peut nier qu’elle se dégrade d’année en année. Alors que 600 000 personnes habitaient en 2007 dans un désert médical (1), elles sont dix fois plus soit près de 6 millions en 2015. Les populations vivant en milieu rural souffrent particulièrement de la pénurie mais le caractère isolé du territoire n’est pas la seule explication. Ainsi, un francilien sur dix vit dans un désert médical. Le pire est à venir puisque la moyenne d’âge des médecins dans les zones sous-dotées (dites désertiques) est de 55 ans contre 52 ans en moyenne, avec des départs en retraite massifs à court terme.

Comme pour le chômage, chaque gouvernement a son lot de mesures conjoncturelles pour tenter d’enrayer la désertification, sans qu’aucune n’ait été réellement efficace. Par exemple, le contrat d’engagement de service public de 2010, qui permet aux étudiants de percevoir des subventions en échange de deux années en zones sous-dotées, n’a attiré que 236 étudiants en 2016 (moins de 3%). Revenu annuel garanti, contrat d’aide à l’installation, hausse des honoraires, baisse des charges…les politiques ont multiplié les mesures financières très coûteuses pour lutter contre les déserts médicaux, comme pour le chômage (emplois aidés…).

Le recours à la télémédecine, qu’il est urgent de développer, n’est en rien un remède à la désertification médicale mais un atout pour renforcer l’efficacité d’un travail présentiel des professionnels de santé dans les territoires.  Les propositions de la Ministre Buzyn en faveur de « médecins détachés » et « d’une « enveloppe dédiée à la lutte contre la désertification médicale » (2) vont dans le même sens que ses prédécesseurs.

On ne cherche pas à régler le problème mais à gérer la pénurie, comme si c’était une fatalité !

Chronique d’une pénurie organisée de médecins en exercice sur 3 décennies

Face à la croissance des dépenses de santé, les années 90 ont vu éclore une première idée stupéfiante des pouvoirs publics : baisser le nombre de médecins libéraux en exercice de 20 000 (sur les 110 000). A raisonnement économique de comptoir (moins d’offre pour moins de demande), solution politique de comptoir. D’une part, on a réduit drastiquement le flux entrant d’étudiants (diminution par deux du numérus clausus à 3500 étudiants), affaiblissant la démographie médicale pour deux décennies. D’autre part, on a accéléré le flux sortant de médecins en activité à grand renfort d’argent public (1,6 milliard d’euros dans les MICA (3)).

Les années 2000 verront naître une autre approche pour contrôler les dépenses : maintenir le plus bas possible le coût des consultations. De 1998 à 2011, la valeur de la consultation (le C) a stagné en euros constants. En 2015, le passage à 25 euros n’a fait là aussi que compenser l’inflation depuis 2011. On a même laissé baisser la valeur réelle de nombreux tarifs en chirurgie et pour plusieurs professions paramédicales. Les libéraux installés ont fait face à cette situation en augmentant leurs compléments d’honoraires pour ceux qui le pouvaient et en étendant leur temps de travail pour tous. L’application des 35 heures dans les hôpitaux publics a imposé au personnel soignant de travailler moins pour gagner moins. Le résultat de cette stratégie pour tous les soignants a été une dégradation de leurs conditions de travail et de leur reconnaissance professionnelle.

Assez logiquement, ces vingt ans d’exploit politique conduisent à une situation de désertification médicale, ce qu’aurait pu prédire un enfant de 5 ans. Pour gérer la pénurie, nous sommes entrés dans une nouvelle ère : la sur-administration du système de santé. Plein pouvoir aux préfets sanitaires qui dirigent des agences régionales de santé (lois de 2009), multiplication de zinzins technocratiques (lois de 2016 : GHT, PTA, CPTS (4)) sans soignant et sans patient mais grands ordonnateurs de l’organisation des soins. Les quelques libertés restantes dans l’exercice médicale sont en sursis. Les professionnels de santé, identifiés depuis les années 1990 comme la cause du problème, sont définitivement ficelés par une administration revancharde et largement incompétente sur les questions de santé (preuve empirique de la situation depuis les années 90).

« C’est dans le vide de la pensée que s’inscrit le mal » disait Hannah Arendt. Le refus d’analyse lucide des erreurs passées et le déni de réalité des responsables sont une garantie d’échec ici comme ailleurs. Seule une réforme structurelle de l’ensemble de notre système de santé (réforme systémique) à partir de ses valeurs fondamentales qui en ont fait son succès résoudra la question des déserts médicaux.

Cela passe par renforcer le pouvoir, la responsabilité et l’autonomie des professionnels de santé et des usagers, par remettre la démocratie sanitaire et non l’État au cœur de la gouvernance des soins et du financement, par renforcer l’offre de santé publique et privée. C’est une nouvelle stratégie nationale de santé centrée sur la santé et pas seulement sur le soin pour construire un véritable système de santé du XXIème siècle.

Les déserts médicaux sont la marque de l’échec de 30 ans de politique de santé comme le chômage est celle de 30 ans de politique économique et social. Sans changement de cap politique, un Président de la République nous dira bientôt : « contre les déserts médicaux, nous avons tout essayé ». Cette formule a été énoncée en 1993 par Mitterrand pour le chômage. Nous venons tout juste de changer le cap de politique économique.

Pas sûr que les Français attendent aussi longtemps pour leur santé !

 

Frédéric Bizard

 

(1) Le décompte en 2007 prend en compte la distance à plus de 15 mn d’un médecin généraliste. En 2015, l’indicateur de mesure utilisé, l’accessibilité potentielle localisée (APL), considère la possibilité d’accéder à 2,5 consultations de médecin généraliste par an (contre 4,1 fois en moyenne en France), pour qualifier le territoire de désert médical.

(2) « Contre les déserts médicaux, la Ministre évoque des médecins détachés » – Le Parisien – Le 16/06/2017

(3) Le MICA (mécanisme d’incitation à la cessation d’activité), est un régime de préretraite créé par la convention de 1988, étendu en 1996 et fermé en octobre 2003 (deniers allocataires en 2012). Incitant au départ à 60 ans de 1988 à 1996 puis à 57 ans en 1996 (ordonnance Juppé), offrant une prime de 40 000 euros par an de 57 ans à 59 ans puis de 28 000 euros par an de 60 ans à 65 ans. Une cotisation répartie entre médecins (31,25 %) et caisses (68,75 %) permettait de financer cela. Au total, 10 516 médecins en auront bénéficié, pour un coût total de 1,6 milliards d’euros.

(4) Groupements hospitaliers de territoire (GHT), Plateformes territoriales d’appui (PTA), Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) : trois instances créées par la loi Touraine de Janvier 2016.

 

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard, est un économiste spécialiste des questions de protection sociale et de santé. Il est professeur d'économie affilié à l'ESCP Europe et enseigne aussi à Paris Dauphine. Il est Président fondateur de l'Institut Santé.

2 Comments

  1. Merci M. Bizard. Je suis medecin et ça fait du bien de vous lire. J’ai l’impression que vous êtes le seul à comprendre ce qu’il se passe dans notre système de santé.

  2. bravo ! comme d’habitude, vous avez tout dit ! merci .. un médecin qui en a eu assez et a fermé son cabinet avant l’heure avant le suicide …

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