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Dépenses de santé : la tragédie du court-termisme !

Tribune publiée dans Les Échos du 22/7/2025

 

« Ce que nous appelons le hasard n’est et ne peut être que la cause ignorée d’un effet connu » disait Voltaire.

Alors que le Gouvernement a livré ses propositions pour le budget 2026 pour l’État et la sécurité sociale, Bercy cible de nouveau les affections de longue durée comme un gisement majeur d’économie. On peut le comprendre sachant que ces dépenses pèsent deux-tiers de la dépense publique de santé en 2023 (132 Mrds € sur 200 Mrds€), avec une hausse annuelle moyenne de 5,7% depuis 5 ans.

Les mesures suggérées pour maitriser cette dépense illustrent parfaitement le concept de « tragédie des horizons », utilisée par Mark Charney, gouverneur de la Banque d’Angleterre, au sujet de la gestion du changement climatique.  L’état de santé de la population de demain, et donc la maitrise durable des dépenses (par la demande), dépend d’actions immédiates qu’on ne met pas en place par court-termisme.

Des causes ignorées

La France subit une véritable flambée de la prévalence des affections de longue durée (ALD= pathologies chroniques inscrites sur une liste qui génère une exonération des tickets modérateurs et donc un remboursement à 100%, à l’exception des franchises, du forfait hospitalier et des dépassements d’honoraires). Le nombre de patients ALD est passée de 9,4 millions en 2011 à 13 millions en 2023, soit 19% de la population, et augmente de 4% par an.

A quoi est-ce dû ?

Deux causes principales expliquent cette évolution : la dégradation de l’état de santé de la population, et les progrès médicaux. Le vieillissement de la population en mauvaise santé est une réalité : en 20 ans, 100% des gains d’espérance de vie des femmes et 70% des hommes se sont faits en mauvaise santé.

Dans le même temps, les avancées thérapeutiques ont permis de réduire la mortalité standardisée par cancer (–2,1 % par an chez les hommes, –0,6 % chez les femmes), malgré une prévalence en hausse. Ce progrès, bien que salutaire, a un coût, que l’assurance maladie assume.

On peut ajouter une gestion des ressources sous-optimale au cours des parcours de ces patients chroniques, qui pourtant coûte chacun en moyenne plus de 10 000€ par an à la sécu.

Des idées à haut risque politique et à faible rendement financier

De la cour des comptes à Bercy en passant par les divers Hauts conseils, chacun y va de son idée pour baisser cette dépense ALD : remboursement indexé sur les revenus, système à deux étages de remboursement en fonction du niveau de la dépense, suppression de certaines indications…

La dernière idée de Bercy, supportée par Ségur, serait de ne plus rembourser à 100% les patients avec cancer en rémission. Rappelons qu’en 2022, près de 55% des 3,4 millions de Français souffrant de cancer étaient dits sous surveillance pour un coût unitaire annuel de 1 240€ contre 13 850€ pour les patients avec un cancer actif.

Le coût global des patients sous surveillance est de 2,4 Mrds €, soit 10% des dépenses totales pour cancer. Faire peser un reste à charge sur ces patients non guéris – donc à risque de rechute – rapporterait peu, tout en suscitant une forte opposition sociale. Pire : cela pourrait fragiliser leur suivi médical, réduire l’observance thérapeutique, augmenter les rechutes et à terme… augmenter les dépenses.

Une mesure à faible rendement financier, à haut risque politique, et incohérente avec une politique de zéro reste à charge pour les lunettes.

Agir à court et moyen terme

La première action urgente à mener est la transformation de notre système de santé pour instaurer un modèle de santé publique efficace sur le maintien en bonne santé, et donc sur la réduction de la morbidité afin de neutraliser l’effet du vieillissement. Cette réforme est prête et réalisable en 18 mois.

Cette réduction de la demande de soins est le seul espoir de sortir de l’impasse budgétaire des ALD sans dégrader la qualité de la prise en charge. Une baisse de 10% de la prévalence des ALD ferait économiser 13 Mrds €, selon les coûts actuels et bien plus demain. Cet objectif sera atteint d’autant plus vite que les réformes nécessaires à mener seront initiées tôt, d’où son caractère urgent.

Le coût de l’inaction est connu pour le quart de siècle à venir, c’est la destruction de la sécurité sociale universelle, pas simplement du fait de son endettement. A ce rythme, les patients ALD porteront 75% de la dépense en 2037 et 80% en 2047. Ce qui signifie que trois-quarts des Français (ceux sans ALD) n’auront plus que 20% de la ressource publique disponible pour se soigner, ce qui met fin au modèle universel solidaire.

Un deuxième plan avec un impact sur le court terme est à instaurer sur les ALD. Le cœur de ce plan est l’optimisation de la gestion des ressources sur le parcours à l’aide d’un contrat thérapeutique souscrit au moment du diagnostic entre le patient, le coordinateur médical du parcours et l’assurance maladie.

Ce contrat aidera le patient à respecter le parcours de soins et optimisera ses chances, le soignant à l’ajuster si besoin par une évaluation récurrente et une vision globale de ce parcours, et l’Assurance maladie à disposer d’une capacité d’analyse des pratiques et des dépenses. Chaque pourcent de gain d’efficience des parcours rapporte 1,3 milliard d’euros d’économie !

Dans ce plan figurent aussi des mesures d’économies liées à la révision du champ de remboursement à 100%, dont celui des transports sanitaires, qui sont souvent sans rapport avec l’ALD. Mais cela restera modeste car ce type de redéfinition du cadre du bouclier sanitaire pourrait aussi inclure de nouvelles dépenses comme les franchises, participations financières qui ne devraient pas s’appliquer sur les dépenses ALD.

Ce n’est pas à Bercy mais à Ségur (le Ministère de la santé) de mettre sur la table un plan de refondation de notre système de santé d’une part et de mesures de court terme de gains d’efficience qui améliorent la santé des Français tout en maitrisant mieux la dépense, d’autre part.

Il reste donc à Ségur à penser une politique visant à respecter la raison d’être de son existence : l’amélioration de la santé de la population.

Selon Diderot « l’Homme est le terme unique d’où il faut partir et auquel il faut tout ramener », l’équilibre des finances publiques en dépend.

 

Le 22 juillet 2025

 

Tribune publiée dans Les Échos du 22/7/2025

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard, est un économiste spécialiste des questions de protection sociale et de santé. Il est professeur d'économie affilié à l'ESCP Europe et enseigne aussi à Paris Dauphine. Il est Président fondateur de l'Institut Santé.

3 Comments

  1. Merci Mr BIZARD pour votre article, un investissement dans la prévention en profitant du maillage territorial des ide libérales permettrait une diminution des coûts des ALD , un seul mot, responsabilité les Français sur leur santé et son coût, soyons acteur de notre santé

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