Sécurité sociale : 80 ans d’histoire, un avenir à réécrire !

Publié dans Le Tribune Le 11/07/2025

 

Le 4 octobre 1945, la signature des ordonnances créant la sécurité sociale par le Gouvernement provisoire de la République française marque un tournant historique.  Soutenue par la forte croissance économique des Trente glorieuses, financée par le travail et assise sur la solidarité et la mutualisation des risques sociaux, ce modèle social a permis un progrès social sans précédent dans notre pays.

Des soins de qualité accessibles à tous, des pensions et des allocations familiales parmi les plus généreuses des pays développés firent de la sécurité sociale française une référence mondiale de protection sociale, et une source d’unité nationale dans une nation, déjà en proie aux divisions.

Cependant, la transformation de notre société à l’aube du XXIème siècle, profonde et sous-évaluée par les Politiques, a engendré un nouvel ordre social. Celui-ci impose une adaptation de notre modèle social à cette nouvelle donne. La viabilité financière de la sécurité sociale ne sera assurée que par la réforme systémique, et non par de simples ajustements budgétaires.

 

 Démographie et nouvel ordre social

Dès les années 80, les projections démographiques annonçaient déjà une évolution radicale vers un vieillissement accéléré de 2010 à 2050, avec une population des plus de 60 ans passant de 23% à 33% et celle des plus de 75 ans qui doublerait (de 5,6 M à 12 M).

Le démographe Alfred Sauvy avertissait en 1986 au Collège de France : « si importantes sont les questions de population qu’elles prennent une terrible revanche sur ceux qui les ignorent ». Cette mise en garde n’a pas été entendue, et la prophétie s’est réalisée.

Depuis 20 ans, les politiques ont effectué pas moins de 4 ajustements paramétriques sur la santé et sur les retraites. L’absence de réforme structurelle adaptative laisse ces deux systèmes en crise, sans avenir garanti à court terme pour le premier et à moyen terme pour le second.

Malgré ce constat implacable, on se dirige vers un nouvel ajustement budgétaire pour 2026 (une forme d’année blanche), qui même s’il se veut plus drastique, ne réglerait le problème ni sur le fond ni dans la durée. Les déséquilibres budgétaires ne sont que le symptôme de la fin d’un cycle de protection sociale, qu’il est désormais impératif de régénérer.

Un autre changement fondamental de notre époque est l’émergence d’un nouvel individualisme. Nous passons d’une société de statuts à une société d’individus. Si les générations des années 50 se définissaient en société à partir de statuts acquis et de liens sociaux hérités, celles de la fin du XXème siècle se construisaient déjà sur des appartenances choisies, favorisant l’expression de qualités personnelles et renforçant l’individualisme.

Même en situation de vulnérabilité, l’individu de la société française contemporaine exige d’être traité comme un être singulier et unique, en quête d’égalité réelle, d’autonomie, de reconnaissance et de dignité.

C’est en partant de l’individu capable, selon l’expression d’Amartya Sen, et d’une approche développementale de l’individu, que notre modèle social doit se reconstruire. Car la personne ne peut se réaliser que grâce aux autres, et cette conception du développement est intrinsèquement solidaire du reste de la société.

L’individu capable n’est pas un simple bénéficiaire passif d’aides sociales, il est un acteur responsable d’un système de gestion de risque qui allie protection et justice, sans sacrifier l’une à l’autre.

3 branches à réformer

La santé et les retraites représentent 80% des dépenses de la sécurité sociale, et respectivement 75% et 25% des déficits prévisionnels records de 2025 à 2028 (de l’ordre de 25 Mrds € chaque année).

Penser que ces déficits sont un simple enjeu budgétaire, réclamant des sacrifices sur les dépenses et/ou les recettes est une croyance largement partagée sur le plan politique.

Concernant les retraites, la démographie et le nouvel ordre social imposent d’intégrer les préférences individuelles dans le choix du départ, et d’en tirer de façon anticipée et transparente les conséquences sur le niveau des pensions individuelles. Cela implique la suppression de l’âge légal, un système universel à points et l’indexation d’un âge pivot sur l’évolution de l’espérance de vie et de la conjoncture économique.

La dépendance démographique croissante impose aussi de généraliser une retraite complémentaire par capitalisation, afin de protéger la classe moyenne avec une retraite décente et de rendre le système compatible avec les défis économiques du pays. La prise en compte efficace et juste des carrières longues, de la pénibilité de certains métiers et de inégalités hommes-femmes dans les carrières est indispensable.

Ce système de retraite choisie devrait être piloté opérationnellement par une organisation de la démocratie sociale régénérée, dans un cadre défini par l’État.

Quant à la santé, elle devra évoluer vers un système qui privilégie autant le maintien en bonne santé que le curatif. Ce système mettra l’accent sur les services de santé renforcés tout au long du cycle de vie : enfance, école, université, travail, vieillissement. Un compte personnel de prévention, le recours massif des innovations technologiques, un financement dédié et une évaluation des performances du maintien en bonne santé feront partie intégrante de la réforme.

Un service public territorial de santé structurera l’organisation de la politique de santé à partir de quelque 300 territoires. Dans chacun de ces territoires, chaque citoyen pourra trouver une solution adaptée à ses besoins essentiels en matière de santé, grâce à la gestion locale des ressources stratégiques Chaque professionnel aura une responsabilité populationnelle dans un système décloisonné.

Un contrat thérapeutique entre le patient, le coordinateur médical et l’assurance maladie garantira à chaque citoyen souffrant d’une affection de longue durée de disposer de la capacité à agir avec les moyens nécessaires pour gérer sa pathologie dans un système transparent, libre, responsable et égalitaire.

Enfin, un nouveau système de gestion de la perte d’autonomie des personnes âgées doit être mis en place, intégrant le virage domiciliaire et prenant en compte l’augmentation inévitable de la prévalence de cette perte d’autonomie dès 2030.

  

Impuissance et crise politique

En mai dernier, la Cour des Comptes a mis en garde contre une possible crise de liquidité de la sécurité sociale. Ce n’était qu’un rappel d’un principe fondamental : un système d’assurance sociale, qu’il soit public ou privé, ne peut être viable durablement s’il demeure structurellement déficitaire.

Pour ceux que cette réalité économique laisse indifférents, l’argument moral – celui de ne pas faire payer par les générations futures les dépenses sociales actuelles – devrait, espérons-le, résonner davantage.

La réforme systémique nécessaire des trois branches de la sécurité sociale est à portée de mains. Il manque la volonté politique du geste réformateur. Ce geste n’est pas seulement affaire de bonne volonté, mais de la vision juste, du courage et de la capacité à prendre des risques pour l’intérêt général.

Tout calcul politicien s’écrase généralement sur le mur de la réforme, transformant un projet politique réalisable en un « Himalaya » à gravir.

Le contexte politique actuel, fragmenté, ne constitue pas un obstacle quand le projet politique est de construire le nouveau modèle social du XXIème siècle, dont la sécurité sociale doit demeurer un pilier. Le contexte de 1945, tout aussi atomisé, en est la preuve.

Comme le disait Salvador Dali, « il n’y a pas de chef d’œuvre dans la paresse », ni dans la petite politique.

Pr Frédéric Bizard

 

Publié dans Le Tribune Le 11/07/2025

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard, est un économiste spécialiste des questions de protection sociale et de santé. Il est professeur d'économie affilié à l'ESCP Europe et enseigne aussi à Paris Dauphine. Il est Président fondateur de l'Institut Santé.

1 Comments

  1. Merci pour vos réflexions de fond toujours aussi stimulantes.
    Merci de nous pousser à l’action: laquelle? Sur quel front: le politique étant fondamental…

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Previous Story

Plan d’économies 2025 et 2026 en santé: un tunnel sans lumière – France Info radio – Le 25 Juin 2025