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Généralisation des complémentaires santé : une mesure avant tout politique!

Lors du quarantième congrès de la mutualité française, le Président Hollande faisait la promesse devant une foule de 2500 mutualistes en liesse de généraliser à l’horizon 2017 les complémentaires santé, au nom de l’amélioration de l’accès aux soins. De prime abord, on peut penser que meilleure sera la protection sociale complémentaire des Français en santé, meilleure sera leur situation face à la couverture du risque santé. Dans la situation actuelle du marché de l’assurance santé complémentaire, c’est pourtant loin d’être le cas.

Cette généralisation est déjà réalisée puisque 96% de la population française est couverte. Les deux millions et demie de personnes qui n’en ont pas évoquent deux raisons majeures pour ne pas en souscrire, des raisons financières et l’appartenance au système ALD (affections de longue durée) qui leur permet d’être remboursé à 100% pour leurs principaux soins. Près de neuf millions de Français sont sous le régime des ALD et ils devraient être autour de douze millions en 2020. Les personnes n’ayant pas besoin de complémentaires pour la raison d’appartenance au régime ALD ne peuvent être que plus nombreux au cours du temps.   S’agissant des raisons financières, elles sont dues soient aux primes trop chères soient à l’absence de rentabilité des contrats. Les cotisations des contrats ayant augmenté à un rythme effréné depuis 2000, le taux d’effort (part des cotisations dans le revenu) pour les ménages modestes dépasse aujourd’hui 10%. La question centrale n’est donc plus la quantité de personnes couvertes, le marché est saturé.

Le vrai sujet porte sur la restructuration d’un système de financement des complémentaires santé en France qui est devenu inefficace, coûteux et injuste. Il est devenu inefficace car le marché ne permet pas aux assurés de disposer d’une couverture adaptée à leur profil de risque. Les garanties sont incompréhensibles pour le quidam, indiquant des pourcentages de remboursement sur une base inconnue du grand public et non une valeur en euros. Elles sont trompeuses car elles intègrent dans la plupart des contrats la part remboursée par la sécurité sociale (ce n’est pas l’indication en bas des contrats qui justifie cette situation). Un 200% pour des lunettes simples représentent une participation de la complémentaire de 10 euros, soit 5% du prix moyen de la lunette; un 100% en orthodontie pour enfant est en fait une participation nulle de la complémentaire puisque c’est la sécurité sociale qui rembourse 193 euros. Les principaux acteurs du marché refusant de rendre disponible sur internet les tarifs et les garanties de leurs contrats, les Français n’ont pas les moyens de choisir de façon éclairée leur contrat, et doivent donc être guidés par l’opérateur qui fait le choix pour l’assuré.

Cette opacité du marché se traduit par une rentabilité négative des contrats pour des millions de Français. Pour un couple de 45 ans avec deux enfants ou un couple de retraités de 65 ans en bonne santé et consommant des soins de façon raisonnable, un contrat standard se traduit souvent par une perte de plus de 1000 euros par an*. Sur le seul critère de la rentabilité, un contrat de complémentaire santé n’a pas d’intérêt pour eux. La nécessité de surconsommer des soins pour rentabiliser son contrat augmente les dépenses de santé et creuse le déficit de la sécurité sociale. En couvrant systématiquement les tickets modérateurs, les complémentaires déresponsabilisent les Français de la notion de coût en santé. Il ne manquait plus que la généralisation du tiers payant pour construire un modèle presque parfait de déresponsabilisation totale des Français dans leur consommation de soins. On vient de nous annoncer que cela va être le cas en 2017, au nom évidemment de l’amélioration de l’accès aux soins; nous voilà rassurés. En réalité, en mettant à genoux notre système de financement public, de telles évolutions de notre système de financement, pour autant qu’elles aient lieu un jour, seraient une catastrophe pour les plus modestes d’entre nous, qui verraient la qualité du panier de soins solidaires s’effondrer (cette qualité devenant la dernière variable de régulation des dépenses publiques de santé).

Le système de complémentaires est aussi très couteux dans ses charges de production et de distribution qui représentent plus de 7,3 milliards d’euros, soit 22% des cotisations contre 4,5% pour l’assurance maladie. La palme d’or des frais d’administration revient aux mutuelles qui font de la non transparence de ces frais un nouveau dogme, au mépris des valeurs historiques de la mutualité française. Ceci fait d’ailleurs du système de santé français le système de santé le plus coûteux des pays de l’OCDE en termes de frais administratifs, après celui des Etats-Unis.

Enfin, il est profondément injuste puisque tous les Français sont loin de disposer d’un accès égal à la couverture complémentaire. Les contrats collectifs des salariés sont quasiment deux fois moins chers et de bien meilleure qualité en garantie que les contrats individuels, grâce notamment aux quatre milliards d’euros d’argent public en aides fiscales et sociales. L’accord ANI, qui généralise les contrats collectifs à toutes les entreprises  ne change rien à la situation des millions de chômeurs, retraités, étudiants et travailleurs indépendants. Il risque d’ailleurs de se traduire par la souscription forcée de salariés à des contrats collectifs de mauvaise qualité, ce qui pourrait poser la question constitutionnelle de la liberté contractuelle des personnes.

Très en pointe sur ce dossier, la mutualité française mène depuis quelque temps une politique étonnante tant elle est dangereuse pour son propre secteur et néfaste pour notre système de santé, que ce soit dans la négligence des valeurs historiques mutualistes (refus de la transparence des frais de gestion, maintien de l’opacité des contrats…) ou dans la conception non mutualisé de ses produits (segmentation du marché). La généralisation de la complémentaire santé est d’ailleurs avant tout une promesse présidentielle faite sur demande insistante de cette même mutualité française. Tout comme l’était l’avenant 8 de la convention médicale (encadrement des dépassements d’honoraires) qui va couter très cher à l’Assurance Maladie ; tout comme l’est la mise en place de réseaux de soins mutualistes (proposition de loi Le Roux) en cours de discussion, qui supprimera des libertés tout en diminuant la qualité des soins des plus défavorisés; tout comme l’est enfin le plafonnement des dépassements d’honoraires des nouveaux contrats responsables du PLFSS 2014. Ajoutons à cela la loi Hamon sur l’économie sociale et solidaire qui exclut les complémentaires santé de la possibilité de résiliation d’un contrat d’assurance à tout moment alors que c’est en santé où c’est le plus justifié et important puisque l’assurance n’est pas obligatoire. On peut se demander où se situe l’intérêt général dans toutes ces prises de décisions.

Le Ministre Benoit Hamon vient de déclarer que « ce n’est pas le MEDEF qui fait les lois en France ». En effet ! Mais ce ne doit pas être davantage la Mutualité française !

Frédéric Bizard

 

* Voir le livre : «Complémentaires santé : le scandale ! », éditions Dunod, sortie le 9 octobre 2013

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