Faut-il plus de transparence sur les prix des médicaments ?
#FranceInfo
La gauche et le RN ont voté un amendement pour rendre publics les prix réels des médicaments remboursés par l’Assurance maladie.
Objectif annoncé : instaurer un « contrôle public et démocratique » de la dépense pharmaceutique.
Cette solution « facile « , séduisante en apparence, est une mauvaise réponse à une vraie question.
La pratique actuelle
Dans tous les pays développés, coexistent deux prix du médicament :
- Un prix catalogue (prix de liste) : officiellement négocié entre les assureurs privés (USA), les États (France, RU), ou les assureurs publics (Allemagne) et les laboratoires pharmaceutiques – et
- Un prix net, ie le montant réellement payé par le financeur (la sécu pour 75% des dépenses pharmaceutiques remboursables en France).
Concrètement, la vente de médicaments remboursables a représenté 44 Milliards € en 2023 (en prix publics TTC), dont :
- 35,5 Mrds € en ville et
- 8,4 Mrds € à l’hôpital.
Sur cette somme, les laboratoires ont remboursé près de 20% des dépenses brutes totales, soit 8,2 Mrds € à la sécu.
Ainsi, les dépenses brutes sont calculées à partir des prix publics. Les dépenses nettes, réellement payées in fine par la sécu, correspondent à un prix net des médicaments, nettement plus bas que le prix catalogue.
Résultat : le prix net moyen est inférieur de 20% au prix catalogue (- 14% en ville et – 38% à l’hôpital). En effet, les remises les plus élevées sont réalisées sur les produits innovants, vendus à l’hôpital.
Ces remises prennent plusieurs formes :
- Remises commerciales,
- Accords de performance (selon les résultats thérapeutiques),
- Remboursements différés,
- Appels d’offres hospitalier.
Elles sont confidentielles, protégées par le secret des affaires, d’où une réelle opacité des prix réels… mais aussi une souplesse de négociation essentielle.
Pourquoi ce système existe-t-il ?
Face à une mesure aussi simple, voire simpliste, on peut se poser la question : Pourquoi ne pas y avoir penser avant ?
Le prix catalogue joue le rôle de valeur de référence : il exprime la valeur thérapeutique et économique du médicament selon plusieurs critères (valeur ajoutée thérapeutique, prix des médicaments comparables, volume de vente prévue, population cible, prix à l’étranger).
Dans l’UE, les prix catalogues sont différents d’un pays à un autre, ce qui est assez peu justifié. Un prix catalogue européen unique pourrait renforcer la transparence et simplifier l’accès au marché, tout en laissant à chaque État la liberté de négocier ses remises.
Pour les laboratoires, cette flexibilité internationale de négociation est indispensable pour disposer d’un pouvoir de négociation avec chaque État, sans que le prix négocié le plus bas serve systématiquement de référence. Le pouvoir de négociation diffère selon les pays, et les remises (nature et valeur) diffèrent d’un pays à l’autre.
La France fait partie des pays qui socialisent le plus avec de l’argent public (à 75% vs 62% en moyenne ailleurs) le financement des médicaments.
La France, par exemple, paye moins cher ses médicaments que la moyenne européenne (–11 %)… mais au prix de délais d’accès cinq fois plus longs qu’en Allemagne.
Résultat : 40 % des innovations autorisées entre 2019 et 2022 ne sont toujours pas disponibles en France.
Et si les prix réels devenaient publics ?
Si l’amendement était adopté , la France deviendrait le seul pays à imposer des prix réels publics.
Les labos exigeraient que le prix public soit le prix catalogue ou proche de ce prix catalogue. Les prix augmenteraient de l’ordre de 20% comme évoqué supra. Qui serait gagnant ? Certainement pas la sécu.
Ceux qui pensent qu’il suffit de « tordre le bras » des labos peuvent comprendre que ces labos ont plus intérêt économiquement à se priver d’un marché représentant 3% du marché mondial, que de baisser de 20% le prix moyen dans tous les autres pays (quasi -40% sur les innovations).
Ce système prix catalogue public/ prix réel confidentiel est -il spécifique au secteur du médicament ?
Un système existant dans la plupart des marchés publics
Ce double système – prix catalogue public, prix réel confidentiel – n’est pas propre au médicament.C’est la norme de nombreux marchés publics : énergie, informatique, services…
Les prix négociés sont confidentiels pour préserver la capacité de négociation.
Je prenais l’exemple ce matin à France info de Radio France, la société mère de la radio négocie ses équipements informatiques à un prix inférieur au prix catalogue, ce qui économise de l’argent public.
Ces prix négociés ne sont pas communiqués au grand public pour laisser une flexibilité de négociation au vendeur dans ses futures négociations.
Une mauvaise réponse à un vrai sujet
Ce système de tarification des médicaments n’est pas parfait car il créé de l’opacité. C’est donc le pire des systèmes, à l’exception de tous les autres.
Cela ne signifie pas que la recherche de transparence sur les prix des médicaments n’est pas un sujet sérieux à traiter, dans l’intérêt de l’industrie, des Pouvoirs Publics et des citoyens.
Une grande pédagogie (comme celle que je m’efforce de faire ici) est à mener auprès des acteurs de santé et du grand public sur la fixation des prix, leur évolution….
La fixation des prix est actuellement une boite noire dans laquelle naviguent quelques hauts fonctionnaires de l’État et de la Cnam.
On pourrait, par exemple, rendre le système plus démocratique en y incluant des représentants des patients et des citoyens, qui sont tout autant capables que des hauts fonctionnaires de conserver le secret des affaires.
En conclusion, la volonté de disposer d’un contrôle public et démocratique est louable, mais la solution proposée par nos Parlementaires est inappropriée et inapplicable.

