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Urgences médicales : une affaire avant tout institutionnelle !

« L’histoire se répète, tout d’abord comme une tragédie, après comme une farce ». Si Marx parlait de l’Histoire avec un grand H, son analyse s’applique parfaitement à l’histoire des urgences. La crise des urgences actuelle révèle une tragédie humaine avec des pertes de chance de patients dans certains services et un personnel soignant épuisé.

La solution préconisée par le gouvernement de promesse de moyens supplémentaires aux services d’urgences, d’un nouveau rapport pour éclairer le problème et que le long terme sera réglé par sa loi santé est une (mauvaise) farce qui se répète depuis plus de 10 ans.

 Les pouvoirs publics remplissent le tonneau des danaïdes

Avec une dizaine de rapports publiés depuis 2013 (1), le cas des urgences devrait être parfaitement appréhendé par les Pouvoirs Publics. Avec une estimation de 23 millions de passages et 12 millions de patients en 2018, la hausse annuelle en volume est de 4 à 5% depuis 10 ans. Près de 40% des passages ne donnent lieu qu’à une consultation médicale et 22% à une hospitalisation.

Sachant que 24% des patients représentent 61% des passages, la saturation des urgences est concentrée sur un nombre assez faible de patients, qui vont en moyenne 5 fois par an aux urgences, avec un délai médian entre deux passages de 40 jours !  Ces quelques 3 millions de patients réguliers sont surtout des personnes âgées polypathologiques, des usagers qui n’ont d’autres recours médicaux à proximité ainsi que des personnes exclues socialement. La distance médiane entre le domicile et le lieu de prise en charge est relativement stable au cours des années et de seulement … 7,5 km.

La dispersion de l’activité est très forte au sein des quelques 750 services d’urgences implantés dans 655 établissements (dont 76% publics et 24% privés), puisque 28% des services ont moins de 40 passages quotidiens et 11% en ont plus de 120. Certains services mobilisent des ressources pour peu de patients et d’autres en manquent du fait d’une suractivité.

Pourtant, les effectifs médicaux et paramédicaux augmentent en moyenne de 4% à 5% par an aux urgences. A la fin 2016, 9500 médecins travaillaient aux urgences soit une hausse de 13% depuis 2013 pour une hausse d’activité de 15%. Le manque de ressources médicales s’explique entre autres par une part de temps partiel passé de 46% en 2013 à 77% en 2016 et par une évolution de la législation du temps de travail à l’hôpital, qui, à organisation constante, impose un besoin supplémentaire de médecins urgentistes de 20% en équivalent temps plein.

Les dépenses liées aux urgences hospitalières augmentent de 5% par an, depuis 2013 à 16,1 milliards d’euros en 2016, soit 17% du budget hospitalier public (ONDAM), dont 3,1 milliards d’euros hors hospitalisations. Le coût d’un passage aux urgences hors hospitalisation et examens complémentaires est de 148 euros en moyenne à l’hôpital pour l’assurance maladie contre 25€ la journée, 71€ la nuit et 54€ le week-end pour une prise en charge en ville.  Le dispositif tarifaire complexe à l’hôpital des urgences incite à l’activité au lieu d’encourager à la régulation. 

 

Sortir d’une vision purement technique et financière

Les multiples rapports font plus ou moins tous les mêmes recommandations. D’abord, il faut apporter les moyens financiers aux urgences à hauteur de la hausse de l’activité. Ce principe de proportionnalité, nécessaire à court terme, est suicidaire à long terme pour l’hôpital public, tant il met sous tension les autres services.

Plusieurs solutions organisationnelles sont préconisées et beaucoup sont déjà appliquées, sans pourtant changer la donne. C’est le cas des maisons médicales de garde (plus de 500), adossées à tort aux hôpitaux, et des maisons de santé pluri professionnelles (plus de 1000). Plutôt que de réaliser un état des lieux objectif des résultats, on préfère accélérer leur déploiement espérant la loi des grands nombres fera la différence. Elle ne fera pourtant que démultiplier les échecs.

Quant aux solutions technologiques – plateforme de régulation en amont avec téléconsultations, télémédecine en EHPAD et en ville…-  elles ne manquent pas dans les rapports mais curieusement l’investissement ne suit pas, on en revient au choix de l’allocation de ressources centrées sur l’hôpital qui entretient les flux et ne fait que des perdants.

Ces solutions technologiques ne règleront pas à elles seules le problème. Pour preuve, les villes dotées de SOS médecins comme Paris, donc d’une régulation en amont, connaissent des urgences saturées malgré l’accès universel à ce service de visite à domicile 24h/24. Ce constat pose la question des différences de paiement des actes, gratuits à l’hôpital et payants en ville. Une des raisons taboues de la saturation de certaines urgences est la visite répétée de personnes désinsérées socialement. La saturation des urgences préfigure des conséquences de la médecine gratuite que certains voudraient voir généraliser en France…

Si on continue cette politique de l’autruche, on se dirige progressivement vers un système fait de gratuité et de coercition généralisée – menée avec des professionnels de santé surmenés et sous-équipés, en lutte permanente pour plus de moyens et plus d’humanité -, dont les usagers les plus aisés pourront évidemment échapper en payant directement ou avec leur assurance privée une médecine privée dédiée.

 

Refus de constater l’affaiblissement des institutions en santé

L’essentiel est pourtant ailleurs. La crise des urgences est le miroir de l’effondrement de notre système de santé : en ville, à l’hôpital et dans le médico-social. Les Pouvoirs Publics préfèrent la fuite en avant que l’analyse lucide des causes véritables du problème. Pas étonnant, ce sont les lois de santé depuis les ordonnances Juppé de 1996 qui ont conduit à un affaiblissement sans précédent des institutions qui gouvernent notre système de santé.

L’institution hospitalière a été affaiblie par la loi Bachelot de 2009 qui a fait du directeur d’hôpital, sans aucune compétence médicale, le deus ex machina de l’établissement. Face à la complexité de l’évolution de la médecine et du système de santé en général, une telle gouvernance met l’hôpital dans une situation d’impuissance dans la définition d’une stratégie et dans la conduite du changement.

Cette même loi de 2009 a aussi fait du représentant de l’Etat en région, le directeur de l’Agence régionale de santé (ARS), un roitelet sans contre-pouvoir. Doté uniquement de compétences administratives, il a tout pouvoir dans les décisions sanitaires régionales. Les lois Touraine de 2016 et Buzyn de 2019 sont dans cette continuité de renforcer la toute-puissance d’une administration hors sol et sans contre-pouvoir.

L’assurance maladie est un grand corps malade, dont le rôle de gouvernance de la médecine de ville est largement transféré aux ARS. L’affaiblissement de la permanence des soins en ville, pilotée par les ARS aujourd’hui, est d’ailleurs concomitant de son étatisation à la fin des années 2000.

Comme le propose l’Institut Santé (2), il faut refonder les institutions et la gouvernance au national, en régions et dans les territoires, pour réarmer l’Etat dans ses fonctions régaliennes en santé et pour déléguer à des instances démocratiques sanitaires et sociales, autour d’une l’assurance maladie réformée, le pilotage opérationnel des soins aux trois niveaux géographiques.

« Rien n’est possible sans les hommes, rien n’est durable sans les institutions », ce constat de Jean Monnet s’applique parfaitement au cas des urgences et à la santé. La France dispose de professionnels de santé, aux urgences comme dans les autres spécialités, dont la qualité est reconnue dans le monde entier et très appréciée des usagers. Comment avec de telles ressources créer une telle situation de chaos ?

Levez les yeux vers les institutions qui les gouvernent !

 

Frédéric Bizard

 

1/ Liste non exhaustive des rapports récents parus sur les urgences

 

 

2/ L’Institut Santé est un organisme de recherche associatif, créé en 2018 pour permettre la refondation de notre système de santé (www.institut-sante.org)

 

Article Publié sur Les Echos le 20 Juin 2019

 

Voir Emission 28 minutes sur Arte du 4 septembre 2009

 


 

 

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