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Soignants : des boucs émissaires (faciles) de la crise en santé !

Publié dans Les Echos le 23/02/2023

Face à l’angoisse croissante des Français vis-à-vis de leur système de santé, on assiste à une inflation parlementaire de propositions de lois en santé depuis le début de l’année. Ratios de soignants par patients, accès directs aux paramédicaux avec de nouvelles compétences, autorisations administratives pour l’installation des médecins en ville, la logorrhée législative est en marche.

Elles ont toutes en commun de partir du constat que la France manque de soignants, en particulier de médecins, et qu’il faut donc que ceux qui exercent s’organisent mieux et en fassent plus. Cette agitation parlementaire cible uniquement les soignants, laissant entendre qu’ils sont le problème principal dans la crise, des boucs émissaires faciles. L’essentiel est pourtant ailleurs.

 

L’art de transformer l’or en plomb

La cause de tous les problèmes en santé serait le déficit de moyens en général et de ressources médicales en particulier. Ces moyens étant fixés par l’État, qui a pris tout le pouvoir en santé, on pourrait s’interroger sur son fonctionnement, son organisation. En absence d’évaluation des politiques publiques, l’État cible des boucs émissaires, faisant diversion sur ses propres failles.

Qu’en est-il vraiment de ces moyens en santé ?

Depuis 2010, on est passé selon la Drees (Ministère de la santé) de 215 000 à 228 000 médecins en activité soit une hausse de 0,6% par an, en phase avec la hausse de la population française. Si on y ajoute les infirmières et les kinés, cette hausse est de 3,2% par an sur la période, soit une augmentation de plus de 255 000 soignants sur la décennie. Si notre densité médicale et paramédicale est comparable à celle de l’UE27, elle est plutôt plus qualitative. Cependant, le temps médical disponible diminue et est inégalement réparti dans le pays.

La France n’a jamais autant dépensé en santé. Avec 12,3% du PIB en 2021 contre 10% en 2000, notre pays consacre près de 3 points de PIB de plus que la moyenne de l’UE27 et a augmenté ses dépenses courantes de santé depuis 10 ans de 3,4% par an (plus 8 Mrds€/an).  Malgré cela, la perception des acteurs en santé est un manque criant de moyens. La faute aux soignants ?

Quant aux innovations technologiques pour soigner, la dernière décennie a généré une abondance de technologies inégalée dans l’histoire de la santé. Du numérique aux biotechnologies en passant par la robotique, les sciences innovent comme jamais pour apporter de meilleurs outils pour améliorer notre santé. L’hyper révolution technologique n’a pas empêché le déclin. La faute aux soignants ?

Face à cette profusion de ressources, la crise illustre un problème profond d’efficience allocative et d’efficience productive. L’analyse économique, tant théorique qu’empirique, démontre qu’une cause majeure et fréquente d’une telle situation est une gouvernance défaillante. La gouvernance désigne un ensemble de règles, de pratiques et de décisions visant à assurer le fonctionnement d’une organisation, ainsi que les organes structurels chargés de les formuler.

Si les alchimistes de l’Antiquité transformaient le plomb en or, les alchimistes contemporains de la gouvernance en santé transforment l’abondance en pénurie, l’or en plomb. Les soignants ayant été soigneusement exclues de toute gouvernance, il faut probablement chercher le problème ailleurs.

 

Traiter les causes plutôt que les effets

Depuis les ordonnances Juppé de 1996, la santé est pilotée à partir d’un dispositif appelé Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), comprenant un Objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) voté par le Parlement chaque automne. Cet outil fait gérer depuis un quart de siècle la santé à partir d’une approche comptable, technocratique et court-termiste. La défaillance de ce dispositif fait que l’État en santé ne détermine ni objectifs, ni stratégie et n’a ni capacité de projection sur le long terme et donc ni vision.

Dans l’esprit de ce virage technocratique figurait aussi la mise au pas d’un pouvoir médical jugé dépensier et gênant politiquement, pour laisser tout le champ de la gouvernance à l’administration centrale. Le point d’orgue fut la loi HPST de 2009 qui a instauré la règle d’un seul chef, de la toute-puissance de l’administration et d’un rôle consultatif pour les usagers et d’exécution pour les professionnels de santé.

Cette gouvernance administrative autoritaire s’est rapidement instaurée à l’hôpital public où le mandarinat administratif a remplacé le mandarinat médical. Si le second avait des travers, il avait la force de la compétence médicale, de la gestion des ressources proches des besoins et de favoriser l’innovation.

L’énorme gâchis tant du capital humain, financier que technologique devrait convaincre de corriger cette gouvernance vers un État stratège, qui délègue et structure un service public territorial de santé confiée à une démocratie sanitaire et sociale autonome et responsable.

La logorrhée législative en cours est le signe d’un aveuglement sur les causes de la crise et/ou d’une impuissance politique à les analyser et les traiter. Il en est de même pour le système à deux étages de financement de la santé, illisible, coûteux et inégalitaire à bien des égards.

En économie, cette politique équivaudrait pour optimiser la croissance à générer toujours plus de bureaucratie pour les entreprises, à restreindre l’autonomie des ressources humaines et à brider l’innovation. Notre politique de santé est structurée autour d’injonctions contradictoires.

« La folie c’est de faire toujours la même chose et s’attendre à un résultat différent » selon Einstein. Les multiples projets législatifs sont la marque d’une grande continuité de la politique de santé marquée par un resserrement administratif toujours plus fort sur l’organisation des soins par un État sans boussole.

Les stratégies d’optimisation des situations individuelles aux dépens du collectif avec les milliers de praticiens hospitaliers et d’infirmières devenus intérimaires au plein cœur du service public hospitalier ultra administré sont le symptôme de cette politique et l’illustration de ce que tend à devenir l’ensemble du système de santé prochainement.

Il ne fait aucun doute que les instigateurs de cette politique le font dans l’esprit de sauver cet ex-joyau de notre modèle social, notre système de santé universel et solidaire, mais ils se trompent de levier !

« Toute ressemblance avec une autre situation actuelle en protection sociale serait purement fortuite ».

Publié dans Les Echos le 23/02/2023

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