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Ne traitons pas les médecins comme des délinquants!

La Ministre des Affaires Sociales et de la Santé a déclaré « vouloir sécuriser l’accès aux soins en encadrant les dépassements d’honoraires ». Il nous semble qu’elle a eu le tort d’évoquer dès à présent « des sanctions rapides et directes à l’encontre des médecins » considérant que « les Français en ont assez des dérives des coûts de la santé » ! Il reste à démontrer que les médecins soient coupables de la hausse des dépenses de santé et des difficultés d’accès aux soins et que les français les tiennent pour tels. Décidément insistante sur la responsabilité des médecins, la Ministre a même ajouté : « l’exemplarité ça existe » ! Dont acte, les médecins sont tenus pour incapables de maîtriser leurs demandes d’honoraires ce qui autoriserait les représentants de l’Etat à dresser la population contre ce corps de professionnels.

Qu’il existe quelques situations de dérive de certains montants d’honoraires médicaux ne justifie pas de jeter ainsi l’opprobre sur toute une profession au nom du peuple français ! Un tel procès à l’encontre des médecins est pour le moins inopportun. N’oublions pas que la qualité de la relation médecin-malade est le pivot de notre système de soins : les Français doivent pouvoir faire confiance à ceux à qui ils confient leur santé. Dans le cas contraire, ils ne sauraient se satisfaire d’une médecine qui risquerait de rappeler une médecine trop étatisée et nivelée telle que l’ont douloureusement connu des pays d’Europe de l’Est.

Il convient de rappeler quelques données. D’abord, les honoraires des médecins libéraux constituent le poste de dépenses de santé qui a le moins progressé ces dernières années, compléments d’honoraires inclus. Ensuite, la liberté tarifaire, mise en place par l’Etat via l’Assurance Maladie en 1980, lui a permis de limiter son investissement dans les actes médicaux par un blocage des tarifs de remboursement. Ceux-ci sont aujourd’hui déconnectés de toute réalité économique : une consultation à 23 euros, une visite à domicile à 33 euros sont loin de refléter la juste valeur des actes. D’autres sont tout aussi irréalistes en regard des contraintes économiques et des responsabilités supportées par les professionnels: 121 euros pour l’ablation d’une tumeur du sein, 268 euros pour une hystérectomie, 271 pour une opération de la cataracte… Ces tarifs correspondent à la réalité du coût de la vie et des charges des années 80. Parler de dépassements à partir de telles bases de remboursement revient à ne pas dire la vérité aux français. L’exemplarité est aussi de ne pas tromper les usagers de la médecine : ceux-ci sont aussi des électeurs.
On devine que l’Etat n’a pas les moyens de prendre à sa charge une forte revalorisation des actes médicaux. Et ce n’est pas un hasard si moins d’un jeune médecin sur 10 envisage d’exercer dans le cadre des tarifs de l’Assurance Maladie que l’on appelle le secteur 1, ce qui est d’ailleurs à l’origine du cercle vicieux des déserts médicaux. Placer les médecins en situation de boucs émissaires ne fera qu’aggraver cette situation.

La Ministre annonce vouloir placer les médecins sous surveillance, tel un délinquant qu’on met en liberté surveillée avec un bracelet électronique, en proposant une contrepartie financière sous forme d’allègement de leurs cotisations sociales. Est-il bien raisonnable de mettre une charge supplémentaire sur le budget de l’Assurance Maladie que l’on sait déjà si mal en point ?
Prétendre sécuriser l’accès aux soins en encadrant les dépassements d’honoraires est une contre-vérité. Ces dépassements sont en réalité des compléments que les assurances complémentaires doivent s’engager à mieux couvrir alors qu’elles en laissent aujourd’hui les deux tiers à la charge des patients. Cette injustice doit être réparée.
Il convient aussi de souligner qu’un tiers des actes médicaux de médecins bénéficiant de la liberté tarifaire (secteur 2) sont réalisés au barème de la Sécurité Sociale. Ainsi, la liberté tarifaire permet de prendre en charge les patients les plus précaires au tarif remboursé en faisant porter la hausse des coûts des actes, via les compléments d’honoraires, par les patients plus aisés.
L’évolution du coût des pratiques médicales engendrera inexorablement une hausse des dépenses de santé, dont celles des actes médicaux ambulatoires. Se pose alors la question cruciale de la part de la richesse nationale que notre pays veut consacrer à la santé.

In fine, il serait plus pertinent et réaliste de se pencher sur les possibles modalités d’extension de la liberté tarifaire en veillant au bon fonctionnement d’une telle liberté pour que personne ne soit exclu de l’accès aux meilleurs soins. Pour cela, il faut renforcer les droits du patient en matière d’information des actes sur les tarifs pratiqués par les médecins. La transparence des tarifs et la capacité des citoyens à agir sont des éléments clés du bon fonctionnement de la liberté tarifaire. De même que les comportements non déontologiques doivent être sanctionnés efficacement et à juste proportion au sein même de la communauté médicale. Ainsi, un organe de contrôle doté d’un pouvoir de surveillance crédible, et représentatif des usagers et de professionnels devrait être mis en place.
Face à la situation financière de la France, l’Etat n’a plus les moyens de mener à bien le vaste chantier de la médecine tel qu’annoncé: relancer la dynamique des hôpitaux en y investissant davantage de moyens financiers, promouvoir la recherche médicale, financer des honoraires médicaux revalorisés pour faire cesser les compléments d’honoraires.
L’exemplarité passe aussi par une politique de vérité. De même que la sécurisation de l’accès aux meilleurs soins ne peut que reposer sur un respect de la liberté des usagers et des professionnels. Ne traitons pas les médecins comme des délinquants. Donnons aux usagers le droit de s’exprimer sur leurs attentes en matière de santé !

Jean-Pierre OLIE
Membre de l’Académie Nationale de Médecine ; Professeur de psychiatrie à l’Université René Descartes à Paris VI; Médecin au Centre Hospitalier Sainte-Anne – Paris

Frédéric BIZARD

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