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Quand la médecine devient un commerce !

« La médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce », le code de santé publique (article R4127-19) ne peut être plus clair. Quelque soit son origine – professionnel de santé, industriel, financeur ou pouvoirs publics – l’assimilation de la pratique des soins à un commerce conduit à de multiples dérives dont les crises sanitaires ne sont que la face émergée de l’iceberg. Alors que la politique de santé ces dernières années a favorisé cette dérive commerciale, la négociation conventionnelle en cours entre médecins libéraux et financeurs devrait viser à limiter cette dérive.

Des primes pour compenser de faibles valorisations des actes

En 2011, un système de paiement à la performance (ROSP ou rémunération sur objectif de santé publique) est installé et a permis aux médecins généralistes de gagner 6700 euros de primes en moyenne en 2015. Si l’idée d’un lien à la performance semble séduisante, la performance demandée relève simplement du métier de base du médecin. Ainsi, parmi les indicateurs de performance on trouve la prise de la tension artérielle des patients hypertendus, la mesure de l’hémoglobine glyquée des patients diabétiques, sans oublier évidemment la prime pour l’affichage des horaires d’ouverture. On passe de normes déontologiques à des indicateurs davantage marchands, créant des effets d’aubaine sans améliorer les pratiques.

Face aux déserts médicaux, les pouvoirs publics incitent aussi les médecins à se transformer en chasseurs de primes. Ce phénomène existe depuis plusieurs années à l’hôpital public où plus de 6000 médecins hospitaliers sont devenus de véritables mercenaires gagnant jusqu’à 15 000 euros par mois en exerçant dans de petits hôpitaux de périphérie, désertés par leurs collègues. Ces médecins temporaires imposent leurs conditions en termes de rémunération (500 millions d’euros par an de surcoûts pour l’hôpital public) mais aussi d’organisation des services. Ils ont une faible implication dans le projet médical et dans le suivi au long cours des malades, ce qui se traduit par une baisse de la qualité et de la sécurité des soins.

Ces mêmes pouvoirs publics semblent vouloir étendre cette situation à la médecine de ville. L’assurance maladie vient d’annoncer qu’elle était prête à « muscler son dispositif incitatif pour attirer coûte que coûte les médecins dans les déserts médicaux » avec une aide forfaitaire de 50 000 euros. Si ces médecins mercenaires acceptent des vacations dans les hôpitaux de proximité (eux-mêmes désertés), cette prime sera majorée. Comme tout se paie, cette politique de gribouille conduit inévitablement à une moindre valorisation des consultations, ce qui ne fera qu’accroitre la désertification médicale. Quant aux réseaux de soins conventionnés, ils partent du postulat que le soin est un produit de grande consommation dont il suffit de multiplier les volumes pour maintenir les revenus des offreurs de soins tout en baissant leurs marges.

Si cette vision purement commerciale contrevient aux règles juridiques et déontologiques, elle est la négation du pilier solidaire de notre système de santé et conduit inévitablement à faire du pouvoir d’achat des patients le critère principal d’accès à des soins de qualité.

Les clés de la négociation conventionnelle

Si elle ne peut pas tout régler, la négociation conventionnelle détient quelques clés essentielles pour contrecarrer cette dérive mercantile. Nous avons déjà démontré que les concepts de ROSP, de contrat d’accès aux soins (voir ici) et de réseaux de soins (voir ici) sont incompatibles avec une juste valorisation des prestations médicales. Dans un contexte de changement radical de l’environnement, la médecine libérale doit investir massivement pour moderniser son mode d’exercice et s’adapter au monde d’aujourd’hui. Cet investissement doit provenir des revenus de l’activité des cabinets médicaux, sauf à sortir du statut libéral. Or, ceci est mission impossible en secteur 1 (à tarifs opposables), ce qui explique en partie la désaffection des jeunes médecins de s’installer dans de telles conditions. Voici trois axes de négociation permettant d’aligner les intérêts actuels et futurs des médecins libéraux avec ceux de la santé publique et de la collectivité.

D’abord, la valeur de la consultation de base (le C) a progressé de 30% depuis 1998, soit dans le même ordre de grandeur que l’indice des prix à la consommation (29%). Cela s’est fait au prix d’âpres négociations et a concentré l’essentiel des énergies à chaque négociation conventionnelle, comme le montre celle de 2016. La hausse proposée à 25 euros n’est qu’une prise en compte de l’inflation du C depuis 2011, rien de plus. En indexant l’évolution du C sur l’indice des prix à la consommation, on pourrait focaliser les négociations sur les sujets essentiels (innovations, parcours de soins des patients chroniques, transformation de l’exercice, virage ambulatoire) et affaiblir le lien entre maintien du pouvoir d’achat des médecins et hausse des volumes d’activité.

Ensuite, pour donner aux médecins libéraux une capacité d’investissement dans les innovations organisationnelles et technologiques, il faut donner au secteur 1 un espace de liberté tarifaire, centré sur un groupe de consultations complexes identifié pour chaque spécialité médicale. Les 35 milliards d’euros souscrits par les Français chaque année pour leur complémentaire santé sont largement suffisants pour solvabiliser cet espace de liberté tarifaire. Comme pour le secteur 2 (à liberté tarifaire), un sujet majeur de la négociation devrait être la régulation de cette liberté tarifaire (adapter le tact et mesure au monde d’aujourd’hui).

La médecine de parcours et le maintien en bonne santé nécessitent des rémunérations spécifiques et adaptées. Un forfait annuel valorisant la coordination du parcours des patients chroniques selon un cahier des charges spécifique à chaque pathologie chronique répond à la première mission. Quand à la seconde, c’est un forfait selon le profil patient qui est à considérer.

L’état d’avancement des négociations révèle la réalité de la feuille de route de la Ministre qui vise à fermer le secteur 2, et à faire survivre la médecine libérale par des subventions conditionnées à des règles dictées par l’Etat. Sauf à renier leur mandat, les syndicats n’ont pas d’autre choix que de demander à l’Assurance Maladie de renégocier avec la Ministre une nouvelle feuille de route !

 

Frédéric Bizard

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