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Le poison inégalitaire et liberticide des réseaux de soins conventionnés

Tout est fait pour que la proposition de loi Le Roux, autorisant les mutuelles à pratiquer des tarifs différenciés de remboursement au sein  de réseaux de soins conventionnés, présentée le 28 novembre à l’Assemblée Nationale soit une simple formalité. Ce serait juste une remise à niveau avec les assureurs privés et les instituts de prévoyance, argument fallacieux tant les mutuelles dominent le marché des complémentaires et mènent la politique du secteur. Autoriser les réseaux de soins pour l’ensemble des professionnels de santé et pour les établissements hospitaliers marquerait une rupture historique dans le socle identitaire de notre système de santé et serait délétère pour tous les acteurs de notre système de santé.

Avant tout, un projet de loi pour éliminer une menace judiciaire

Ces réseaux sont déjà en place dans certaines spécialités comme l’optique, le dentaire ou l’audioprothèse, dans un environnement juridique très incertain. L’article L 112-1 du code de la mutualité stipule que « les mutuelles et les unions visées au présent article ne peuvent instaurer de différences dans le niveau de prestations qu’en fonction des cotisations payées ou de la situation de famille des intéressés ». La cour de Cassation, dans un arrêt du 18 mars 2010, a remis en cause le principe même des réseaux mutualistes en interdisant à une mutuelle de  différencier les remboursements, pour une même prestation, entre les soins réalisés par des praticiens conventionnés et des praticiens non conventionnés. Certaines grandes mutuelles font face depuis quelque temps à de nombreuses assignations d’entreprises, de syndicats (pour l’optique) ou d’adhérents (pour le dentaire).  Il devient donc urgent pour ces mutuelles de modifier l’article L 112-1 du code de la mutualité afin d’éteindre ce feu judiciaire.

Aucune légitimité des complémentaires santé pour conventionner les médecins et les établissements hospitaliers

Les mutuelles avancent comme principal argument de défense des réseaux en optique et dentaire qu’elles sont les premiers payeurs dans ces spécialités, devant la sécurité sociale. Ceci est loin d’être le cas dans les autres dépenses de santé. Rappelons que la part des complémentaires dans la prise en charge des dépenses de santé est de 13,9% au global, et seulement de 5,3% pour les soins hospitaliers et 19% pour les honoraires de médecins en ambulatoire. Permettre aux Mutuelles de constituer des réseaux d’établissements de soins (ou de médecins) alors que c’est la collectivité (la sécurité sociale) qui finance plus de 90% des dépenses hospitalières est infondé et illégitime.

De plus, le bilan de plus de dix ans de réseaux conventionnés est contrasté. Environ un Français sur cinq renonce chaque année à des soins d’optique et dentaire pour des raisons financières, alors que les réseaux structurent plus de la moitié de ces deux spécialités.  Une étude réalisée par Gallileo Consulting démontre que les porteurs de lunettes qui choisissent eux-mêmes leurs opticiens sont plus satisfaits de ses conseils, de la personnalisation de la prestation et du service après vente que ceux qui suivent la recommandation de leur assureur. La seule mesure  sérieuse de prévention en dentaire pendant cette période a été la prise en charge à 100% des bilans bucco-dentaires et soins consécutifs à 6, 9, 12, 15 et 18 ans par la … sécurité sociale ! Autant dire que la baisse du reste à charge apportée par la création de ces réseaux ne s’accompagne pas dans les faits d’une amélioration de l’accès aux soins et de la qualité des soins.

Une atteinte grave aux droits fondamentaux des patients et à la relation médecin-patients

Nul ne peut raisonnablement contester que la différenciation des niveaux de remboursement, souvent supérieure à 30%, sur le seul choix de la Mutuelle (pour les réseaux fermés) ou selon ses critères de sélection ne soit pas une entrave au libre choix des patients. Laisser penser que tous les actes médicaux peuvent se pratiquer à des prix bas sans conséquence sur la qualité est une supercherie. C’est donc incompatible avec le principe fondateur d’égalité d’accès aux meilleurs soins pour tous. La généralisation des réseaux entrainera mécaniquement une médecine à 3 vitesses : la médecine d’assistance publique pour les plus défavorisés (sans complémentaire ou avec des contrats de mauvaise qualité), la médecine de sous-qualité pour la majorité des adhérents et la médecine de haute qualité pour les plus favorisés (contrat de première catégorie ou reste à charge élevé).

La logique de réseau déstructure la relation médecin-patient fondée sur la liberté (choix, prescriptions, installation) et la responsabilité professionnelle.  Dans un réseau, le patient est pénalisé s’il exerce sa liberté de choix et le professionnel de santé conventionné déresponsabilisé de la qualité de son acte qui doit d’abord répondre au cahier des charges du réseau dont le critère principal est le prix bas.  Ainsi, le médecin ayant lourdement investi en équipement médical pour garantir des soins de première qualité et une sécurité maximum à ses patients est de facto exclu de la logique des réseaux. Cette dernière repose sur une logique de volume incompatible avec un pan entier de la médecine de spécialités, comme la chrirurgie, qui est constitué d’actes non répétitifs. Pour la médecine générale, la tendance est à une chute de la démographie médicale et à une généralisation du forfait par patients, ce qui va à l’encontre de la mise en place de réseaux.

Une source de conflit majeur avec les fournisseurs de soins

Tout professionnel ou établissement de santé pratiquant une médecine de qualité n’a aucun intérêt à ce que des réseaux leur « rabattent de la clientèle » en contrepartie de respecter des tarifs imposés par les assureurs. Cet esprit mercantile est d’ailleurs contraire à leur déontolgie médicale. Leur réputation et leurs propres pratiques tarifaires, déjà très encadrées et adaptées au pouvoir d’achat de leurs patients, suffisent à constituer leur propre clientèle (sans aucune publicité). Les adhérents des mutuelles n’ont aucun bénéfice financier à la souscription du contrat (leur prime est la même avec ou sans réseau) et seulement un engagement de meilleur remboursement sur un service dont ils ne peuvent pas évaluer a priori le rapport qualité-prix, voire même sa disponibilité proche de chez eux. Quant à la collectivité, les réseaux n’ont pas démontré d’impact sur la maîtrise des dépenses et sur l’efficience du système de santé. Les Etats-Unis, pays modèle et pionnier pour ces réseaux de soins, ont par contre fait toute la démonstration du caractère inflationniste et inégalitaire de ces réseaux de soins.

Après le plafonnement des dépassements d’honoraires et le report de l’obligation de transparence des frais généraux, la modification du code de la mutualité est une nouvelle mesure dont l’urgence se justifie avant tout par le respect d’un engagement présidentiel envers les mutuelles, selon l’aveu même de dirigeants mutualistes. Si les bénéfices de ces mesures pour l’assuré restent à démontrer, la tension et l’incompréhension qu’elles engendrent chez les fournisseurs de soins, au contact de millions d’assurés chaque jour, sont bien réelles et auront des conséquences pour tout le monde.

Le succès de leur lobbying politique donne probablement actuellement aux mutuelles un sentiment de protection et de puissance. Cela ne rend pourtant pas leur nombre excessif (650 mutuelles santé soit 83% du nombre total d’assurances complémentaires pour 56% de part de marché) et leur opacité comptable (contraire à leurs valeurs fondatrices) plus compatibles avec l’environnement économique et social actuel !

 

Frédéric Bizard

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