Frédéric Bizard

L’Assurance maladie, devenue porte-parole de l’Etat, pense t’elle encore par elle-même ?

Le Directeur-Général de l’Assurance maladie publie ce jour dans Les Échos une tribune intitulée « Assurance Maladie et complémentaires santé: élevons le débat » (1)

Le DG de l’Assurance Maladie a eu raison dans la première moitié de sa tribune de remettre les pendules à l’heure sur les complémentaires santé suite aux brailleries indécentes des assureurs privés à deux reprises dans Les Échos, que j’ai commenté précédemment.

Notamment, le fait que le faible transfert depuis 10 ans (qu’il aurait pu chiffrer) de l’AMO sur les complémentaires ne justifie pas la hausse élevée et systématique des primes, encore moins les +10% en 2024. Il ne va pas jusqu’à faire le lien avec ces hausses, pourtant c’est bien le sujet.

La deuxième moitié de La Tribune est instructive de ce qu’est devenu l’AMO.

Malgré la crise profonde dans laquelle l’institution – 9 Mrds de déficit en 2023 et trajectoire fortement déficitaire à 5 ans, une offre et une demande de santé en souffrance – et le système de santé se trouvent, le discours du DG est celui d’un porte-parole du gouvernement et de l’Etat en général, sans aucune remise en cause de ce qui nuit à l’AMO et aucune proposition pour sortir de la crise !

Prenons trois points évoqués:

 

1/ « Nous savons travailler ensemble comme le montre la réussite collective du 100% santé »: la mesure phare depuis 2017 est encensée par le DG de l’AMO. De quelle réussite parle t’il au nom de l’AMO?

La santé pseudo-gratuite du zéro reste à charge pour les prothèses dentaires, auditives et les lunettes a pourtant coûté « un pognon de dingue » à l’AMO. Un point sur la hausse des dépenses totales de 2019 à 2022 pour ces  » secteurs : Dentaire: +1,8 Mrd€  soit +5%/an; Optique: +1,35Mrd€, +7%/an; Audioprothèse: +750M€ +20%/an !!!

la suppression du reste à charge dans ces secteurs a fait exploser la dépense dans un pays qui n’était pas tiermondisé dans ces secteurs (Afflelou en a même fait une belle fortune, rappelons que l’optique n’est pas assurable en Allemagne, Italie, Espagne…).

C’est mignon d’aller exiger des Pharmaciens et des médecins de la pertinence des actes et des prescriptions mais l’AMO pourrait, si elle pensait encore par elle-même, faire le constat que le système actuel qui fait tout pour tendre vers le zéro reste à charge avec les assureurs privés, va à l’encontre de cette pertinence.

Une autre conséquence largement documentée du zéro reste à charge est la forte hausse des escroqueries financières, des scandales de santé publique et de la financiarisation qui se répand.

Le zéro reste à charge pèse lourd sur les comptes de l’AMO et tue l’esprit de responsabilité au coeur de la solidarité porté par l’AMO.

C’est un fait et les faits sont têtus.

 

2/ Il est  cocasse que le DG reproche  aux complémentaires de ne pas assez lutter contre les fraudes. Faire des assureurs privés des flics de la prescription des professionnels de santé revient à leur donner accès à toutes les données de santé, ce qui leur permettra de mieux sélectionner les risques etde tarifer au risque les assurés et d’exclure les plus à risque de leurs contrats. C’est ce qui se passe aux USA notamment.

C’est l’avenir des complémentaires vu de l’AMO ? Non ?

Alors quel avenir est proposé pour l’AMO et l’AMC (les complémentaires) ?

 

3/ On a la réponse à la fin: « Le ministre de la Santé engagera des travaux entre l’Etat, l’AMO et l’AMC… »

Nous voici rassurés.

La feuille de route de l’Etat est connue, le zéro reste à charge plus étendu encore (quitte à être dans le mur on fonce).Et  celle de l’AMO?

La confusion des genres entre l’Etat et l’AMO est arrivée à son paroxysme en 2023 et cette tribune l’exprime parfaitement.

« C’est peut-être un détail pour vous, mais pour le système de santé ça veut dire beaucoup« , aurait chanté France Gall.

Le tout-étatisme de la gouvernance de notre système de santé est une distorsion majeur d’un modèle français qui s’est construit autour de la sécurité sociale, de la responsabilité individuelle, de la démocratie sanitaire & sociale, et de l’innovation.  Le tout-étatisme a affaibli ces fondamentaux du modèle.

C’est une cause majeure de la crise actuelle du système, qui devrait intéresser toutes les parties prenantes.

Veut-on aller vers un modèle NHS  ou veut-on régénérer un modèle à la française ?

Un NHS à la française est ce que nous avons peu ou prou sous les yeux en terme de gouvernance.

Chacun appréciera si c’est un modèle adapté à notre culture et efficace.

Sinon, de façon plus accessoire mais de portée symbolique, pourrait-on suggérer un changement de nom de l’AMO pour commencer. On va démarrer doucement.

S’appeler Assurance Maladie en 2023 plutôt qu’Assurance Santé et promouvoir le développement de la prévention fait vraiment tâche.

Attendons que l’Etat décide si c’est possible…

 

Frédéric Bizard
(1) Tribune de Thomas Fatôme, DG de la CNAM, dans Les Échos du 14/12/2023

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