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Contrats responsables : le décret de la démutualisation du financement des soins privés !

Le gouvernement a publié le 18 novembre dernier un décret sur les contrats responsables de l’assurance complémentaire santé dans une indifférence générale du microcosme politique qui en dit long sur les préoccupations réelles de nos politiques.

Un décret qui réduit le remboursement de contrats privés subventionnés par de l’argent public

Ce décret définit le nouveau cahier des charges des contrats responsables qui représentent 96% du marché de l’assurance santé privée et qui bénéficient d’un taux deux fois plus faible de taxes que les autres contrats. Les nouvelles règles imposent de ne pas rembourser les honoraires libres de médecins (dits de secteur 2) au-delà de 100% du tarif sécurité sociale, sans aucun seuil minimum, et encadre les tarifs de remboursement des lunettes. Les honoraires libres concernent 25% des médecins libéraux (soit 50 000 médecins), 10% des généralistes et 42% des spécialistes. La part libre des honoraires constitue en moyenne plus d’un tiers de leurs honoraires totaux. Nous ne sommes donc plus dans une logique de complément, encore moins de dépassement, mais dans une part pleine et entière des honoraires de ces médecins, dont les tarifs publics se sont chaque année éloignés un peu plus de la valeur réelle des actes.

La logique de ce décret est de désolvabiliser « par les organismes complémentaires les pratiques tarifaires excessives » de ces praticiens. Rappelons quelques tarifs de sécurité sociale en vigueur, dont il faut retirer en moyenne la moitié en charges d’exploitation pour obtenir la rémunération du médecin avant impôts: 23€ la consultation, 110€ l’ablation d’une tumeur du sein, 264€ l’ablation de l’utérus, 117 € le canal carpien, 313€ la césarienne, 490€ la prothèse totale de hanche… Ainsi, le gouvernement va dérembourser pour 96% des contrats privés tout tarif supérieur aux montants précédemment cités facturés en honoraires libres ! Ce décret correspond bien à un déremboursement de soins privés, sans rapport avec des pratiques tarifaires excessives qui selon l’Assurance Maladie concernerait moins de 0,3% des médecins, exerçant dans le privé et dans le public.

L’application de ce décret va avoir des conséquences sur l’ensemble de l’accès aux soins.

Un décret aux conséquences inévitables sur l’accessibilité financière aux soins privés d’abord puis géographique et temporel ensuite

Une première conséquence immédiate de ce décret est celle directement recherchée et exprimée dans ce décret, la désolvabilisation de la classe moyenne vis-à-vis des soins privés, à des degrés variables en fonction des spécialités et des régions bien entendu. Ainsi, les soins chirurgicaux privés en Ile de France – dont les honoraires libres représentent plus de la moitié des montants facturés (plus des deux tiers à Paris) – ne seront plus accessibles à la classe moyenne. De multiples chirurgiens libéraux ne seront plus en mesure de financer leurs charges, ce qui mettra en péril le modèle économique de l’hospitalisation privée. Les dégâts ne s’arrêteront pas aux chirurgiens car par un effet domino inévitable, les autres spécialités seront affectées.

Ce décret est aussi un signal fort envoyé aux jeunes générations de médecins pour ne pas s’installer en libéral, quelque soit le lieu en France (chacun anticipant une baisse du plafond au cours du temps). Sachant que 25% des spécialistes ont plus de 60 ans en France, ce décret ne peut que contribuer à la désertification chirurgicale qui accompagnera la désertification médicale déjà générée par la politique de santé actuelle.

A qui profite le crime? A personne en ville puisque la médecine libérale est le mode ultra dominant et qu’aucune structure salariale n’émerge sérieusement pour remplacer efficacement l’exercice libéral (rappelons que la médecine de ville française est la plus coût efficace au monde). A l’hôpital, les auteurs du décret espèrent un transfert d’activités vers le secteur public, comme si la cause essentielle de la descente aux enfers de notre hôpital public était le manque d’activités. Les pseudo protecteurs du secteur public hospitalier se révèlent là encore en être les principaux fossoyeurs.

Un décret insuffisant selon la Mutualité française, qui n’aura bientôt de mutualité plus que le nom

Fustigeant le niveau « trop élevé » d’honoraires libres autorisés dans ce décret, la Mutualité française veut aller plus loin dans la démutualisation du financement privé des actes médicaux. Que la Mutualité française soit en pointe pour dénoncer le montant des tarifs médicaux (parmi les plus faibles de l’Union européenne) est vraiment cocasse et surréaliste. Le secteur des complémentaires santé ponctionne près de 1,5 milliard d’euros de plus chaque année sur les Français, pour des garanties santé qui diminuent (comme dans ce décret). Sans parler du train de vie des dirigeants de ces institutions que plus un groupe du CAC 40 ne s’offre, ne serait-ce que par déontologie. Cette attitude, nuisible à l’accès aux soins et agressive envers la communauté médicale dans son ensemble, est d’autant plus infondée que l’évolution de la pratique médicale en chirurgie ambulatoire entre autres fait économiser des dizaines de millions d’euros chaque année aux complémentaires.

Proudhon, figure emblématique de l’économie sociale et solidaire, avait l’habitude de dire qu’il y a « mutualité et mutualité ». Que les vraies mutuelles, les assureurs et les instituts de prévoyance s’interrogent sur cette stratégie à la petite semaine et suicidaire à moyen terme pour le secteur privé dans son ensemble (offreurs de soins comme financeurs) !

Au final, la classe moyenne, majoritaire dans notre pays, ne pourra subir avec un tel décret qu’une nette dégradation de son accessibilité financière aux soins privés dans un premier temps, puis rapidement, de son accessibilité géographique et temporelle à l’ensemble des soins. Dans le même décret, on met d’ailleurs en place un observatoire de l’accès aux soins, qui sera chargé aux frais de la collectivité de constater cette dégradation afin de mieux légitimer les futures baisses des plafonds de remboursement. L’Etat joue un rôle dangereux et contraire à l’intérêt général dans cette affaire, le prochain acte de la pièce de la Ministre va nous montrer que ce n’est pas fini!

 Frédéric Bizard

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