La France a-t-elle perdu la guerre des vaccins ?

« Nous sommes en guerre » déclarait le Président Macron le 16 mars 2020. Un an plus tard, l’arme fatale pour gagner cette guerre est, comme souvent dans une épidémie, le vaccin. Suite à des exploits scientifiques de quelques chercheurs et à l’audace de certains États, il a suffi de moins d’un an pour développer ce vaccin.La France a perdu cette bataille. Elle n’a rien trouvé, rien développé, rien produit sur son territoire avec succès la première année de crise. Malheureusement, la guerre ne se terminera probablement pas avec ce premier tour de vaccination, donnant une seconde chance à notre pays pour l’avenir de sa recherche médicale et son industrie pharmaceutique.
Ce sera la dernière, avant un déclassement acté et durable de la France dans ce secteur !

 

Le vaccin, principal échec à ce jour de la France

Malgré les multiples critiques sur la gestion de la crise depuis un an, la France peut se comparer sans rougir à nombre d’autres de pays développés dans la lutte anti-Covid. Sur le plan humain, notre surmortalité en 2020 (+13,6%) est certes supérieure à l’Allemagne (+8,8%) et aux péninsules asiatiques (+0,1% en Corée du Sud) mais nettement plus faible qu’en Italie (24,8%), Royaume-Uni (21,2%), USA (+24%) ou Russie (27%).

Il est trop tôt pour tirer un bilan économique et social de la crise. Avec une baisse de 8,2% de notre PIB (vs 6,6% en zone euro) et la destruction de 320 300 emplois en 2020, la situation apparaît désastreuse, pire crise sanitaire engendrant la pire crise économique de l’histoire récente. Cependant, nos capacités de rebond sont fortes, ceci grâce à une excellente réactivité de l’Etat pour protéger l’offre et la demande d’une part, et au rôle d’amortisseur social en période crise de notre modèle social d’autre part. En réalité, tout dépendra de la durée de la crise sanitaire, donc des vaccins !

La guerre anti-covid revient aujourd’hui à une guerre des vaccins. La France a-t-elle abandonné tout espoir de compter dans cette guerre ?

Une guerre sans politique est la cause d’échecs militaires récurrents. Il en est de même pour celle des vaccins. Si la gestion des achats groupés par la Commission européenne se justifie par la nécessité que les 27 états membres progressent conjointement vers l’immunité de groupe, c’est aux chefs d’État (dans et hors le Conseil de l’Europe) de peser sur les parties prenantes pour faire de l’Europe une place forte de la vaccination. Le vaccin est l’arme géopolitique de cette guerre comme l’arme nucléaire l’est pour d’autres guerres.

L’art de la guerre est aussi une question d’objectifs et d’exécution. Celui qui n’a pas d’objectif ne risque pas de l’atteindre disait Sun Tzu, mais viser l’immunité collective à la fin de l’été n’est-il pas trop tard ? Rappelons que nous sommes capables de vacciner 60% de la population adulte en 40 jours en nous appuyant sur les médecins, pharmaciens et infirmiers, sans création supplémentaire de centres dédiés. Si privilégier les patients fragiles fait sens les premières semaines (protection individuelle), cela devient vite contre-productif ensuite. L’objectif devient en effet l’immunité collective (quelles que soient les personnes vaccinées) et la mise sous tension de la demande pour maximiser le rythme de la vaccination.
L’immunité collective doit et peut être atteinte avant l’été en France comme en Europe, sous réserve d’exporter seulement 20% (et non 40%) des doses de vaccins produites en Europe et d’élargir la cible dès maintenant à toute la population de plus de 50 ans.

 

Rebondir ou acter un déclassement durable

L’émergence de certains variants du Covid-19 change la donne quant à la suite des opérations. La mutation E484K découverte sur les souches sud-africaine et brésilienne, bien implantées en France, entraîne un échappement à la réponse immunitaire acquise. Le 31 mars dernier, un nouveau variant a été découvert à l’hôpital Henri-Mondor, près de Paris, avec la présence de la mutation N501Y du variant anglais et L452R du variant californien. A 9000 km d’écart, même combat pour l’ennemi, même pression de sélection pour échapper à l’immunité acquise.

Sauf évènement exceptionnel toujours possible dans le cours d’une épidémie, il est acté qu’une deuxième campagne de vaccination avec des vaccins efficaces contre l’ensemble des variants sera indispensable pour espérer se débarrasser de la pandémie. De prime abord, le défi est comparable à celui qui se posait début 2020 pour développer en temps record une deuxième génération de vaccins covid. En réalité, la barre est plus haute et il y aura probablement nettement moins de finalistes fin 2021.

Parmi les technologies gagnantes du premier tour, seul la plateforme ARNm apparait compétitive pour le deuxième tour. Les vaccins à base d’adénovirus créent une immunité contre le vecteur viral et ceux avec protéine recombinante passent par un développement trop long des nouvelles lignées cellulaires, entre autres failles. Pour les vaccins à ARNm de 2020, le problème vient de leur usage par tous du même antigène, la protéine spike, dont les 30 mutations représentent un nombre de combinaisons possibles de plus d’un milliard d’antigénes différents.

Ceci impose de repartir à partir d’un nouvel antigène, plus petit que la protéine spike et exposé à peu de mutations.

A ce jour, la France ne dispose d’aucune société développant sur son territoire un candidat vaccin à ARNm de deuxième génération et d’aucune capacité de production complète pour ces vaccins (hors façonniers). Il n’est pas encore trop tard. La création d’une unité de production à ARNm prend 6 mois et coûte 150 millions d’euros. La France dispose de 270 usines de production pharmaceutique, dont plus 85% ne produisent que d’anciens médicaments à base chimique.

Dans tout malheur quelque chose de bon. Ici, c’est relancer la recherche française avec un candidat vaccin à ARNm multivalent et créer un grand pôle de production de l’ARNm. C’est à portée de main de l’Etat français.

Face à l’immense potentiel de cet ARNm dans plusieurs aires thérapeutiques, dont l’oncologie, cet investissement est le meilleur investissement d’avenir que la France peut faire dans le médical. La France se doit d’être un acteur mondial de premier plan dans l’ARNm.
Si cet investissement permet à la France de retrouver une place dans le concert des Nations disposant des vaccins covid, les bénéfices économiques, médicaux et géopolitiques seront colossaux.

Dans la guerre des vaccins, la France a perdu une bataille mais pas la guerre.
Cependant, toujours selon Sun Tzu, « Lorsque le coup de tonnerre éclate, il est trop tard pour se boucher les oreilles ».

 

Frédéric Bizard

 

Tribune parue dans Les Echos le 6/04/2021, ici

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard, est un économiste spécialiste des questions de protection sociale et de santé. Il est professeur d'économie affilié à l'ESCP Europe et enseigne aussi à Paris Dauphine. Il est Président fondateur de l'Institut Santé.

3 Comments

  1. ….. »élargir la cible dès maintenant à toute la population de plus de 50 ans. »
    Pas tout à fait d’accord. Sans contaminant, pas de contaminés ! Il est presqu’évident, même si des études paradoxales apparaissent dans toutes celles concernant la Covid, que la contamination est par leur comportement et leurs liens sociaux plus fréquentes chez les enfants scolarisés, les ados et les moins de 30 ans, alors que les adultes prennent, à bien sûr beaucoup d’exceptions près, plus de soins à éviter les contacts à risques.
    En conséquence, sans nier l’intérêt de vacciner les plus de 50 ans, pour des raisons de risques majorés, le frein à l’épidémie sera actionné avec la vaccination large des écoliers, des étudiants et des jeunes en général.
    De même la baisse constatée de la mortalité actuelle dans les EPADH au prix d’une mortalité importante, aurait pu être obtenue par la vaccination du personnel qui ont contribué largement à la contamination des « anciens ». Ceux-ci, dans leur isolement, n’ont pas, à ma connaissance, partagé le virus dans des fêtes clandestines !

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