Un budget 2016 de la sécurité sociale au service de l’inaction !

En ouverture de la conférence sociale du 19 Octobre dernier, le Président de la République déclarait : « le statu quo n’est plus possible, l’alternative, c’est la réforme ou la rupture. La rénovation du modèle social ou sa disparition». Suite à de tels propos et pour le dernier budget de la sécurité sociale* de plein exercice du quinquennat, tout citoyen averti pouvait s’attendre à des initiatives fortes, a de l’audace et courage pour éviter cette rupture.

La réalité est pourtant un budget de la sécu pour 2016 au service de ce que dénonce le Président, le statut quo, l’exercice politique revient à vanter la réduction du déficit momentané et à simuler des avancées qui n’en sont pas.

Une maitrise des dépenses sociales sans réforme de structure

La Ministre des affaires sociales s’est réjouit d’un retour du déficit au niveau d’avant la crise financière de 2008, sous la barre symbolique des dix milliards d’euros. Les branches accident du travail et vieillesse devraient être excédentaires de 500 millions d’euros chacune pour le régime général et la branche famille déficitaire de 800 millions d’euros en 2016. Ainsi, ces trois branches dégageraient un excédent de 200 millions d’euros, ce qui n’était pas arrivé depuis le début des années 2000. Réjouissons-nous de cette bonne nouvelle mais faisons le vite car la situation est plus compliquée. Côté retraite, rien n’est réglé sur le plan comptable puisque le système revient inévitablement dans le rouge dans les 3 ans. Sur le plan de la justice sociale, l’écart de traitement entre le privé et le public ne cesse de se creuser ce qui n’est pas durable. L’accord du 16 octobre dernier sur les retraites complémentaires accentue les inégalités entre les deux secteurs. La hausse des cotisations retraites prévue devrait être compensé par une baisse des cotisations sur les accidents du travail, ce qui met en danger la seule branche devenue structurellement équilibrée. Quant à la famille, son financement par l’entreprise pèse toujours indument sur le coût du travail et l’évolution des allocations familiales vers une politique d’assistance aux plus défavorisés n’est en rien un progrès.

Ce PLFSS* constituerait une affaire d’expert en quête de débat technique si la quatrième branche, la santé, n’était pas une réelle bombe sociale à retardement. Le niveau du déficit en 2016 sera quasiment identique à celui de 2014 (un peu plus de 6 milliards d’euros) et ce piètre résultat est obtenu au prix d’économies réalisées sans recherche d’efficience. Face à une hausse tendancielle des dépenses de santé (sans mesures d’économies) de 3,6%, l’objectif national des dépenses de santé (ONDAM) limite cette hausse à 1,75% soit un besoin d’économie de 3,4 milliards d’euros en 2016. Ce scénario se répète depuis près de 10 ans en santé et la recette utilisée par la haute administration se répète inlassablement : 50% des économies portées par le médicament, 25% par la médecine de ville, 25% par l’hôpital. Mêmes causes, mêmes effets : ces trois secteurs subissent dans des ampleurs et formes différentes une dégradation régulière de leurs performances. Avec près de deux millions de professionnels travaillant dans le secteur de la santé, cette gestion comptable à la petite semaine a transformé le secteur en une poudrière sociale au bord de l’embrasement. Les petits ruisseaux faisant les grandes rivières, le tsunami se rapproche.

Un petit pas vers l’individualisation des droits sociaux

La création d’une protection universelle maladie est un pas dans la bonne direction que constitue l’individualisation des droits sociaux que nous prônons**. Notre système social de nature corporatiste pâtit de l’existence d’une multitude de régimes obligatoires et d’une organisation administrative complexe et coûteuse. Par exemple, l’assurance santé comprend 14 régimes obligatoires, gérés par 83 opérateurs. Ceci conduit la France a avoir un coût de gestion par habitant de son système de financement le plus élevé au monde (hors USA) et une qualité de service aux assurés souvent médiocres (les régimes des indépendants et des étudiants en sont deux illustrations parmi bien d’autres). Seule une fusion progressive de l’ensemble de ces régimes, au sein du régime général qui deviendrait un régime santé universel aurait un impact réel pour l’assuré. Cela nous conduirait vers un vrai modèle universaliste avec une transparence et une égalité des droits.

Maintenir la pluralité des régimes d’assurance santé et des opérateurs gestionnaires tout en créant cette protection universelle familiale est un artifice qui ne règle rien.

Une mesure politique forte et concrète pour les citoyens serait une réelle individualisation de l’ensemble des droits sociaux. Cela revient à remplacer dans le code de la sécurité sociale la notion de travailleur et de famille par la notion de personne et permet de créer un régime universel de protection sociale pour l’ensemble des risques. Hormis les quelques milliers d’administrateurs issus des syndicats patronaux et salariés des multiples caisses des nombreux régimes sociaux qui perdraient quelques émoluments, les 66 millions de Français se retrouveraient avec un système de protection sociale beaucoup plus juste, économe et efficace.

Une autre mesure du PLFSS vise à accorder un crédit d’impôt et à sélectionner des contrats spécifiques pour les plus de 65 ans ce qui dégradera encore un peu plus la solidarité intergénérationnelle et réduira la concurrence dans l’assurance santé complémentaire. Après la généralisation par le bas des contrats collectifs à tous les salariés qui entrera en application le 1er janvier prochain, 4 millions d’assurés vont quitter le marché des contrats individuels ce qui va surenchérir le coût de ces contrats, majoritairement souscrits par les retraités. Plutôt que de repenser le système de financement pour le rendre plus efficace et solidaire, le gouvernement tente de colmater les brèches d’un système qui ne fait qu’enrichir les organismes complémentaires et appauvrir la couverture du risque en santé des Français.

Dans un environnement économique, social et technologique qui évolue à grande vitesse, l’inaction qui symbolise ce budget social 2016 ne peut que contribuer à la dégradation de la protection sociale des citoyens. Ce budget de la sécurité sociale étant le dernier en plein exercice de ce quinquennat, le Président Hollande a lui-même poser le pronostic de sa politique, la disparition à terme de notre modèle social. Tocqueville parlait de circonstances où il y avait « des résistances honnêtes et des rebellions légitimes». 

Frédéric Bizard

* Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale en cours d’examen à l’Assemblée Nationale

** «Politique de santé : réussir le changement », Editions Dunod, Septembre 2015, p154-157, proposition 27- Disponible ici

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard, est un économiste spécialiste des questions de protection sociale et de santé. Il est professeur d'économie affilié à l'ESCP Europe et enseigne aussi à Paris Dauphine. Il est Président fondateur de l'Institut Santé.

1 Comment

  1. Bien d’accord sur votre analyse économique. La gratuité inflationniste est déresponsabilisante, aliénante. En revanche, je suis septique sur votre vison de la médecine du futur. La médecine n’est ni prédictive ni personnalisée : les médecins ne sont pas des devins, tout au plus des météorologues sanitaires, les nouveaux oracles des data base. La médecine est probabiliste et statistique. Elle n’est pas personnalisée car ni le gène ni le génome ne sont la personne. L’objet objectivable de sciences ne donne pas sens à la subjectivité irreprésentée, celle qui donne ( pour le moment) toute sa force au Sujet.

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