Pour un régime universel de retraite à points (1) !

Dans le classement des domaines où l’application de nos principes républicains est à améliorer, notre système de retraite est bien placé. Si la solidarité intergénérationnelle a construit un système plus généreux qu’ailleurs, le morcellement en 35 régimes créé un sentiment d’inéquité (et des coûts de gestion très élevés) qui mine les relations sociales et la confiance au sein de la société. La faible lisibilité supprime toute part de liberté des citoyens dans la gestion de leur retraite, au nom d’un Etat-Providence de moins en moins providentiel.

Les Français bénéficient de la durée la plus longue au monde de leur retraite (25 ans), cinq ans de plus que la moyenne des autres pays développés. Des retraites généreuses associées à une durée longue font que les dépenses publiques de retraite sont de 75% plus élevées que dans la moyenne de l’OCDE (environ 14% vs 8%). Cette situation favorable pour les retraités du baby-boom et des générations précédentes va nettement se dégrader pour les générations suivantes. Malgré les multiples réformes, à législation inchangée, le système cumulera chaque année plus de 10 milliards d’euros de déficit dès 2019 et le niveau de vie des retraités va se dégrader progressivement (20% en deçà de celui de la population d’ici à 2040). Dans ce contexte, l’urgence d’une réforme systémique devrait faire l’objet d’un consensus politique.

Le contexte est mûr pour créer un régime universel de retraite à points (le RURP)

Outre le diagnostic du système, les changements profonds en cours sur le plan économique, social et démographique ont des effets substantiels sur l’avenir de notre système de retraite. La réforme à mener ne vise donc pas simplement à faire survivre le système, ce qu’ont fait les réformes paramétriques depuis 1993, mais à adapter le système au nouveau monde.

Comme pour le système de santé, on doit d’abord prendre acte de l’universalisation des droits sociaux qui conduit à leur individualisation en les liant à la personne et non plus au statut professionnel, afin de sortir de la logique corporatiste. La multiplicité des régimes de retraites structurés en fonction de critères d’appartenance socio-professionnelle n’a plus lieu d’être. Il s’agit de pousser à son terme le mouvement de convergence des régimes initié dans les années 70 et renforcé par la loi de 2003. Cela revient d’abord à fusionner les 21 régimes de base et les régimes spéciaux intégrés au sein du régime général qui devient le régime universel de retraite (RUR).

Quant aux régimes complémentaires des salariés, l’accord d’octobre 2015 entre partenaires sociaux montre que la différenciation de ce pilier avec celui des régimes de base ne garantit ni un niveau de retraites satisfaisant à moyen terme ni une viabilité financière durable. Le manque de compensation démographique est une des raisons de leur difficile viabilité. Ils présentent des similarités avec la retraite de base en termes de logique par répartition, de financement par des cotisations sociales et de leur caractère obligatoire. Leur fusion avec le RUR nécessite d’harmoniser les modes de calculs des droits à la retraite, à points pour les régimes complémentaires et par annuités pour les régimes de base et intégrés. Le passage à un régime universel de retraite à points (le RURP) comprend de multiples avantages aussi bien dans la constitution progressive de sa retraite au cours de la vie active (lisibilité, transparence, facilité de gestion) que dans sa liquidation (partage des points, choix facilité du départ). Un système à points intégral facilite la gestion de la pénibilité, en bonifiant les points des salariés qui exercent des métiers ou des rythmes de travail difficiles, et la convergence public privé.

Le conseil d’orientation des retraites (COR) a confirmé dans son rapport de 2010 la faisabilité technique de la transition vers un système intégral à points (par une transition immédiate avec liquidation anticipée). Une grande majorité des Français connaissent déjà ce mode de calcul pour une partie de leur retraite, ce qui facilitera son acceptation sociale. La création du RURP est l’occasion de donner un libre choix aux assurés de leur opérateur, entre la caisse nationale et une institution de retraite privée. Même si les droits des assurés seront identiques entre les opérateurs, leur mise en concurrence pour la distribution du RURP incitera à optimiser la qualité de services et assurera une transition maîtrisée avec la situation actuelle.

Le RURP permettra un pilotage institutionnel et financier clarifié et efficace

En l’état actuel, l’Etat définit la politique de retraites et pilote les régimes de base, les partenaires sociaux gèrent les régimes complémentaires. L’accord d’octobre 2015 montre les limites de la gouvernance actuelle, à bout de souffle. En agissant sur la durée de cotisation pour une retraite à taux plein (par un système de décote), les partenaires sociaux s’arrogent une prérogative de l’Etat et creusent les inégalités entre les salariés et non salariés du privé, et entre le public et le privé.

En parallèle à la création du RURP, une nouvelle gouvernance est à instaurer, laissant à l’Etat la détermination de la politique de retraite, la définition des règles et objectifs et à la société civile la gestion courante.

Les partenaires sociaux, sur proposition du COR, agiront sur les paramètres disponibles pour assurer la viabilité financière du RURP, qui devra fonctionner sans déficit récurrent. Le rôle du COR sera renforcé dans ce pilotage rénové, dans un but de dynamiser la démocratie sociale et d’informer plus fréquemment et plus exhaustivement le grand public sur les questions de retraite. Le pilotage financier est à réaliser avec un horizon de long terme, au moins 25 années, en ajustant en priorité l’âge pivot de départ en retraites. Pour revenir à l’équilibre à moyen terme, la durée de cotisation doit être allongée d’un trimestre tous les deux ans jusqu’en 2040 (et non d’un tous les trois ans jusqu’en 2035 comme prévu actuellement).

Outre ce système par répartition à restructurer, la constitution d’une retraite supplémentaire, en la dotant d’une composante sociale, doit être fortement encourager, tout en restant facultative, et constituer un axe stratégique de la politique de retraite. La France est à la traine dans l’OCDE en épargne longue dédiée à la retraite (0,2% du PIB vs 1,6% en moyenne). Des incitations fiscales plus fortes, une composante sociale à intégrer dans les dispositifs et une orientation facilitée pour investir dans l’économie productive sont autant de mesures pour aller bien plus loin dans ce domaine.

La création du RURP répond à la fois à une évolution logique dans le temps et à l’application des principes fondamentaux de notre système de protection sociale du XXIème siècle à partager avec les Français. Géré par réaction sur le court terme et non par anticipation sur le long terme, notre système de retraites n’a avancé qu’à coups de conflits sociaux qui affaiblissent chaque fois un peu plus la confiance des Français dans le système et dans l’Etat. La clé de voute du succès pour réussir le RURP est la légitimité démocratique. Cela suppose d’intégrer la réforme dans le programme présidentiel du (ou de la) futur(e) Président(e) de la République, de l’expliquer, de l’inclure dans une vision de la société et de la réaliser sur un quinquennat !

 

Frédéric Bizard

 

(1): Le détail de la réforme se trouve dans le chapitre 3 du livre de Frédéric Bizard sorti le 1er mars 2017

« Protection sociale: Pour un nouveau modèle », Dunod

Livre disponible ici et dans toutes les librairies

Vidéo de présentation

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard, est un économiste spécialiste des questions de protection sociale et de santé. Il est professeur d'économie affilié à l'ESCP Europe et enseigne aussi à Paris Dauphine. Il est Président fondateur de l'Institut Santé.

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