Pourquoi la médecine libérale est l’avenir de la médecine de ville !

A quelque chose malheur est bon ! Les principaux ennemis du modèle de médecine libérale en France ne pourraient-ils pas être finalement salutaires pour accélérer son adaptation au nouvel environnement du XXIème siècle?   L’exaspération et l’inquiétude profonde du monde libéral ne peuvent se justifier ni par le bilan de ce mode d’exercice ni par ses perspectives d’avenir objectives, sous réserve qu’il réussisse sa mutation.

Il n’est pas contestable que le modèle français de ville a été celui qui a produit les soins de ville au meilleur rapport coût-efficacité et coût-bénéfice parmi les pays développés.

Les coûts des soins de ville en France sont les plus faibles avec une part des dépenses totales de santé de seulement 23% contre 33% pour la moyenne des pays de l’OCDE. Dotés d’un bon niveau de formation, la liberté de choix des patients et l’aspect concurrentiel de leur activité incitent les médecins libéraux à innover dans leurs pratiques et améliorer en permanence la qualité de leurs services pour conserver leur réputation et développer leur patientèle. La distribution des médecins libéraux sur tout le territoire a été exceptionnelle avec une distance d’accès de 15 mn pour plus de 90% de la population. La désertification médicale actuelle de certains territoires est directement liée aux conditions de vie privées et professionnelles et à la dégradation des conditions d’exercice dans ces territoires. Seules des actions correctrices efficaces sur les véritables causes de cette pénurie locale d’offre auront des effets durables.

Aucune autre alternative d’exercice réellement crédible

Il a toujours existé en parallèle de l’exercice libéral un exercice salarié de ville réalisé principalement au sein de centres de santé, dont à peine 500 comprennent aujourd’hui des médecins. Distribuant des soins gratuits à la population par des médecins salariés, cette médecine a une véritable utilité sanitaire et sociale. Son extension limitée tient d’une part à la fragilité économique de ce modèle et à la vocation sociale aussi jouée par la médecine libérale. Selon un rapport récent de l’IGAS (1), les centres sont en moyenne déficitaires chaque année à hauteur de 15% de leur budget, fréquentés par une population surtout précaire et insuffisamment bien gérés. Si leur pérennité est nécessaire sur le plan social, prétendre les substituer utilement au modèle libéral ne se justifie que par une vision misérabiliste de la société et dogmatique de la pratique médicale. Ni leur efficacité médico-économique ni leur qualité de service auprès d’une population non précaire ne peuvent servir cette cause.

C’est pourtant bien l’intention d’un courant d’opinion qui n’a jamais accepté notre modèle de médecine libérale et qui trouve un allié de circonstance actuellement. La ministre de la santé a discrètement publié une circulaire au milieu de l’été (2) pour que les agences régionales de santé communiquent les lieux d’implantation de nouveaux centres de santé. Ceci « dans le cadre des engagements de la ministre de conforter la place des centres de santé dans l’offre de soins » précise le document. La caisse de dépôts et consignations serait appelée à cofinancer ces nouveaux centres. Si ces centres de santé jouent un rôle social utile dans notre système de santé, quelle extraordinaire régression que de vouloir étendre ce mode d’exercice à un nombre croissant de territoires. Comment parler de progrès social lorsqu’on veut faire de la médecine des plus démunis le mode dominant d’exercice pour la classe moyenne. C’est totalement contraire aux valeurs fondamentales de liberté, d’égalité et de solidarité de notre système de santé et de notre République. La liberté doit être égale pour tous et non pas réservée aux plus favorisés. La solidarité doit permettre aux plus défavorisés de recevoir la même qualité de soins que les plus aisés. S’il n’existe pas de système parfait, la médecine libérale française est la mieux à même au XXIème siècle de faire vivre ces principes fondamentaux.

Des états généraux de la médecine libérale

Face aux nouveaux enjeux, il est probablement indispensable que la profession organise ses propres états généraux pour établir une nouvelle feuille de route de l’exercice libéral. La triple transition démographique, épidémiologique et technologique de ce début de siècle transforme le paradigme de prise en charge de la santé des Français. Parmi d’autres, trois évolutions vont transformer l’exercice médical et devront être prises en compte.

D’abord, le mode de gestion du risque santé va « se démocratiser » avec des usagers qui vont devenir de plus en plus actifs et autonomes. Cette démocratisation du monde médical va transformer la relation médecin-patient, le fameux colloque singulier. Ensuite, le modèle médical chronique transforme les métiers et les organisations. Le nouveau pouvoir médical va se mesurer à la force du réseau que chaque organisation aura su créer pour coordonner la prise en charge des patients chroniques avec l’ensemble des intervenants du parcours de soins. Ce n’est pas la taille de l’organisation qui primera mais « son niveau de connectivité ». Enfin, l’évolution des métiers médicaux et des modes de paiement obligent à repenser le modèle économique de l’exercice libéral.

Ces transformations concernent également le milieu hospitalier pour lequel nous recommandons (3) de réaliser en parallèle à la ville un aggiornamento qui passera par une évolution des modèles hospitaliers et une réforme du CHU pour conserver un secteur public hospitalier solide dans un environnement concurrentiel régulé avec le privé.

Jean Monnet estimait que « les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ne voient la nécessité que dans la crise ». Les conditions du changement sont manifestement réunies. Médecins libéraux: résister et changer !

Frédéric Bizard

(1) Inspection générale des affaires sociales – Les centres de santé – Rapport de Juillet 2013

(2) Instruction du 10 août 2015 relative aux territoires prioritaires d’implantation des nouveaux centres de santé

(3) « Politique de santé : réussir le changement » – de Frédéric Bizard – Editions Dunod – Sortie le 9 Septembre 2015 – Disponible ici

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard, est un économiste spécialiste des questions de protection sociale et de santé. Il est professeur d'économie affilié à l'ESCP Europe et enseigne aussi à Paris Dauphine. Il est Président fondateur de l'Institut Santé.

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