De la mise en place du rationnement des soins par la loi Bachelot

Juillet  2009

Malgré la forte opposition des professionnels de santé, la loi Bachelot a été approuvée au Sénat en juin, après l’avoir été  par l’Assemblée Nationale en mars dernier.

L’esprit de la loi tient en quelques mots: renforcer le contrôle administratif de l’offre de soins. Les outils créés pour cette reprise en main sont des Agences Régionales de Santé (ARS) qui organiseront et gèreront l’ensemble de l’offre de soins  à l’échelle régionale et des Directeurs d’hôpitaux qui auront tout pouvoir en matière financière et médicale. Ces deux structures seront staffées et contrôlées par la haute administration et le pouvoir politique. Tout est en place pour la maîtrise comptable des dépenses de santé, ouvertement louée par le Ministère.

Précisons d’abord qu’il est indispensable de réformer en profondeur  l’ensemble de notre système de soins pour faire face aux nouveaux défis médicaux, sociologiques et économiques du XXIeme siècle. Il est aussi indispensable que chaque euro dépensé par la collectivité pour soigner nos concitoyens soit évalué quant à la qualité et la sécurité des soins qu’il permet de prodiguer. C’est une condition sine qua non pour rendre pérenne notre système solidaire de financement.

En ville comme à l’hôpital, le pouvoir médical et le pouvoir administratif ont historiquement co-existé et collaboré malgré une culture et des objectifs souvent difficiles à concilier. La bonne coexistence de ces deux pouvoirs est un élément déterminant de la bonne efficience de tout système de soins. Une évolution significative des esprits des soignants et des méthodes de travail ces dix dernières années a largement œuvré pour rapprocher ces deux mondes. Avec la loi Bachelot, le gouvernement décide de placer le pouvoir médical sous camisole, considérant  d’une part que la coexistence des deux pouvoirs n’est plus possible et d’autre part que le corps médical est le principal fautif dans la croissance des déficits. Ces conceptions erronées sont la conséquence de la victoire de deux clans. D’abord, celui des technocrates peuplant la haute administration de la santé et des conseillers en tout genre qui gravitent autour. Pour eux, la mainmise sur des dépenses équivalentes à 11% du PNB est une garantie de  grasses rétributions et de pouvoir. La santé ne faisant pas recette dans le monde politique français, on a finalement décidé de la laisser aux mains de l’administration. Ensuite, celui des partisans de la privatisation maximale de notre système de soins, aboutissant à la distinction entre les patients rentables (ie des patients dont la prise en charge a la plus forte marge bénéficaire  pour le producteur de soins) que le privé s’arrogera largement et les patients peu rentables que le service public, réduit à un rôle d’assistance, devra prendre en charge. Notons que si on y ajoute un système assurentiel privé pour les clients les plus rentables, nous tombons dans un système de santé voisin de celui des Etats-Unis des 30 dernières années qui a démontré sa remarquable performance inflationniste et inégalitaire (il est paradoxal de voir que les Américains font tout pour en sortir).

Faut-il rappeler qu’un hôpital comprend des services médicaux obéissant à une logique humaniste et dont le produit – la guérison – se dégage hors de l’hôpital et se mesure en unités non comptabilisables dans le compte d’exploitation de l’établissement. Faut-il rappeler que l’hôpital public, du fait de ses obligations de service public, se trouve en quasi-monopole pour l’accueil en urgence, les malades les plus démunis et les plus graves, les soins de long séjour des personnes âgées, les soins psychiatriques et la médecine générale. Faut-il rappeler que l’évolution du profil démographique et sociologique française va vers une fragilisation de la population qui va générer une forte augmentation  de la demande pour les soins remplis par l’hôpital public. Faut-il rappeler que la médecine est plus un art qu’une science et que la science qui permettrait aux technocrates  de dire aux médecins – qui connaissent tellement mieux leurs patients – comment pratiquer la médecine n’existe pas. Faut-il enfin rappeler que seule la maîtrise médicalisée a fait ses preuves, en Scandinavie notamment, de la capacité d’un système de soins à mieux soigner à moindre côuts.

L’amélioration de l’efficience de notre système de santé par la maîtrise médicalisée  nécessiterait entre autres une responsabilisation des usagers dans le recours aux soins et dans la gestion de leur capital santé, une meilleure régulation des pratiques médicales et évaluation médico-économique des soins prodigués, une réorganisation de l’offre des soins aux personnes âgées et un  développement de l’usage de la technologie numérique.

Au lieu de cela, cette loi oriente (encore davantage) notre système vers un contrôle comptable et une gestion administrée de l’offre de soins  dont la logique est de limiter l’accès aux soins pour réduire le volume des dépenses. La logique comptable passe inévitablement à un moment où à un autre par  ne pas soigner tout le monde dans les mêmes conditions et par une envolée des prix pour une prise en charge de qualité (puisqu’elle devient accessible avant tout aux plus aisés).

Face à la détermination du gouvernement, que reste – t’il à faire? Descendre dans la rue… Compter sur une alternance politique? Au vue des 20 dernières années de politique de santé et des réflexions actuelles des différents partis politiques, rien n’est moins sûr qu’elle soit une garantie d’inflexion de la politique de santé !

Nous allons donc probablement entrer officiellement dans l’ère du rationnement des soins en France, avec la nomination d’agents régionaux (les patrons des ARS) et locaux (les directeurs d’hôpitaux) de rationnement des soins, qui seront comme le souhaite le gouvernement les tsars de notre nouveau système de soins. Les malades qui auront les connexions pour bien s’orienter dans le système des soins et les moyens de payer des soins privés garderont certainement une bonne prise en charge. Pitié pour les autres !

Frédéric  BIZARD

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard, est un économiste spécialiste des questions de protection sociale et de santé. Il est professeur d'économie affilié à l'ESCP Europe et enseigne aussi à Paris Dauphine. Il est Président fondateur de l'Institut Santé.

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